Peindre les Grands Bouddha du Japon : l’enchantement d’un artiste anglais et des visiteurs

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Stuart Ayre [Profil]

Stuart Ayre est un artiste qui s’est notamment consacré à peindre les deux plus grandes statues de Bouddha au Japon, celui de Kamakura et celui de Nara. Il nous fait part de ses réflexions à leur sujet ainsi que des réactions parfois étonnantes des visiteurs.

Le Grand Bouddha de Nara

Le doux sourire du Grand Bouddha de Nara cache bien des choses. Au cours du dernier millénaire, sa maison a été réduite en cendres à deux reprises, la guerre a fait rage autour de son temple et beaucoup de sang a coulé, sa tête et ses mains ont été entièrement remplacées. Il n’en continue pas moins de sourire et, à l’instar du bateau de Thésée, il est toujours le même Grand Bouddha.

Le bâtiment qui l’abrite, la Salle du Grand Bouddha (au temple Tôdai-ji), est un spectacle à ne pas manquer. C’est un ravissement pour les yeux. Une charpente, aussi dense qu’une forêt et façonnée par des mains expertes, porte l’immense toiture. Et les décorations dorées (en forme de L à l’envers) disposées à chaque extrémité du toit ont l’air toutes petites vues de loin, mais elles sont gargantuesques.

Pourquoi le Grand Bouddha est-il là ? Cette question trouve sa réponse aux abords de la salle. Les dalles de pierre, originaires d’Inde, de Chine, de Corée et du Japon, retracent le chemin emprunté par le bouddhisme pour arriver dans ce pays. Lors de mes visites au temple, j’aime m’imaginer le Grand Bouddha en train de parcourir à pieds ces terres lointaines avant d’arriver au Japon et de s’asseoir à Nara pour jouir d’un repos bien mérité.

La première rencontre entre les visiteurs et la statue géante se produit aux portes de la salle. La première réaction d’un grand nombre de Japonais est de s’exclamer « dekai ! », qui traduit un sentiment d’immensité. Restez un moment à l’entrée et vous avez de bonnes chances d’entendre cette expression.

Aussi calme et immobile que soit le Grand Bouddha, il suscite bien des réactions et des émotions chez ses visiteurs. Certains se prosternent et touchent de leur front les pierres du sol. Beaucoup se font prendre en photo en train d’essayer d’imiter la position des mains du grand Bouddha (souvent en adoptant leur propre version de cette position, avec les messages bouddhistes involontaires qu’ils risquent de transmettre à la postérité). Quant aux personnes âgées, elles font systématiquement une prière.

Les enfants en visite laissent vraiment s’envoler leur imagination. Pendant l’été 2020, alors que je dessinais assis, deux gamins de l’école primaire se lancèrent dans un débat passionné pour savoir à quel sport le Grand Bouddha serait bon (ce serait, semble-t-il, receveur de balles au baseball...). Une petite fille pensait que les décorations dorées du toit étaient les chaussures du Bouddha. Et d’autres écoliers se demandaient pourquoi il avait les cheveux permanentés comme leurs grand-mères.

La peinture représente le Grand Bouddha alors qu’il avait quelques personnes autour de lui. Un enfant avait grimpé les escaliers menant à la salle en courant, laissant ses parents derrière lui pour découvrir la raison de tout ce charivari. Quand ses yeux tombèrent sur le Grand Bouddha, il resta figé sur place. Je parie que ce garçon reviendra quand il sera vieux.

À l’époque où le Grand Bouddha fut édifié, quelques générations à peine après la chute de la Rome antique et de ses statues géantes, un moine indien lui insuffla symboliquement la vie en peignant ses yeux. J’estimais faire la même chose et compléter la tâche avec ma propre peinture. Mais après avoir passé tant de temps dans ce lieu sacré, je me suis rendu compte que toute tentative de représentation de la scène laisserait de côté beaucoup de choses – l’élégance de la charpente, la lumière changeante, l’impression de caverne, les bavardages des moines... C’est pourquoi j’ai jugé bon de m’en tenir à une version « incomplète » du Grand Bouddha de Nara et de laisser son sourire mystérieux à l’imagination de qui regarde ma peinture.

Le Grand Bouddha de Nara
Le Grand Bouddha de Nara

(Voir également notre article : Duel au sommet : les Grands Bouddha de Nara et Kamakura)

(Peintures de Stuart Ayre)

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Stuart AyreArticles de l'auteur

Artiste et traducteur vivant à Tokyo. Diplômé des beaux-arts de l’Université d’Oxford en 2001, il est parti vivre au Japon en 2003. Utilise divers moyens d’expression, avec un goût marqué pour le dessin et la peinture des paysages urbains du Japon. Site officiel : www.stuart-ayre.com

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