« Silence » de Martin Scorsese ou la Passion des chrétiens du Japon
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Silence, d’Endô Shûsaku, est paru en 1966. Ce roman sur la persécution des chrétiens dans le Japon du XVIIe siècle met en scène les difficultés rencontrées par un missionnaire portugais qui finit par abjurer sa foi ; vilipendé par l’ Église lors de sa parution, ce livre s’est néanmoins attiré une véritable reconnaissance littéraire mondiale. C’est vingt-deux ans après sa parution, en 1988, que Martin Scorsese le découvre, peu après la sortie de son film La Dernière tentation du Christ. Cette œuvre consacrée à un Jésus Christ en proie à des doutes terriblement humains a été vivement critiquée par certains groupes chrétiens qui réclamaient son interdiction. Scorsese, profondément touché par le roman d’Endô qui, tout comme La Dernière tentation du Christ mais sous une autre forme, traite du thème de la foi, décide alors de l’adapter. Mais vingt-huit années s’écouleront avant que ce projet soit concrétisé.
Un long apprentissage
Pourquoi Martin Scorsese a-t-il tant tenu à adapter Silence ? Lors d’une conférence de presse tenue à la veille de la sortie du film au Japon le 21 janvier 2017, le réalisateur évoque l’œuvre originale, son point de départ, et le projet singulier qui est en né.
« La Dernière tentation du Christ a été mal reçu, mais le soir où j’ai organisé une projection pour des groupes religieux, un archevêque de l’Église épiscopale nommé Paul Moore s’est adressé à nous après la séance. Il avait aimé le film, le débat. Il m’a dit : “J’ai un livre pour vous, intitulé Silence. Je vais vous le donner parce qu’il parle de la foi.” »
Pour Scorsese, qui a grandi dans une famille pratiquante et a suivi les enseignements d’une école catholique, la foi a toujours été un thème central. « Après avoir tourné La Dernière tentation du Christ et m’être trouvé au cœur de la controverse, j’ai perdu de vue ce vers quoi je voulais tendre grâce à la religion. À la lecture de Silence, il m’a semblé que je pouvais aller plus loin. Je devais creuser davantage et trouver les réponses en moi, comme Endô l’avait fait. »
Malgré tout, porter ce film à l’écran n’a pas été simple. « Je voulais faire le film, mais je ne savais pas comment. Je n’étais pas sûr de comprendre quelle interprétation en donner. C’était fortement lié à mes propres penchants et questionnements en matière de religion, ainsi qu’à la culture japonaise… Cela a été un long processus d’essais et d’erreurs, un long apprentissage. »
« Un film à part »
Bien qu’il ait acquis les droits d’adaptation, l’écriture du scénario (avec Jay Cocks) n’a débuté que longtemps après. « Je crois que les choses ont vraiment commencé à changer vers 2003, après le tournage de Gangs of New York ; j’ai alors senti que j’allais pouvoir tenter de structurer le scénario de Silence. C’était aussi un tournant dans ma vie privée, avec mon remariage et la naissance de ma fille. »
La préparation de ce film s’est déroulée sur un temps long, au fil de ses expériences personnelles, mais la sortie du film ne signifie pas sa fin, au contraire, nous explique Scorsese : il continuera à le porter en lui. Pour cette œuvre, il s’est colleté aux questions les plus intimement liées à l’existence humaine que sont la foi et le doute ; en ce sens, c’est pour lui un film à part, différent de ses autres réalisations.
Le roman d’Endô Shûsaku est à ses yeux « complet », parce qu’il s’intéresse non pas au dogme religieux, mais à la foi et au doute. « Nous doutons de tout, au cours de notre vie. Nous ne savons même pas pourquoi nous sommes sur Terre. C’est ce qui m’a attiré dans ce livre, et ce qui m’a motivé. »
Le monde de la foi décrit dans le roman Silence n’est pas celui de la religion chrétienne dans sa dimension paternaliste et autoritaire, mais celui de la compassion maternelle tournée vers les plus fragiles ; pour Scorsese, c’est à cela qu’ont été sensibles les chrétiens cachés du Japon.
Des acteurs japonais impressionnants
L’un des personnages clés du roman Silence est Kichijirô, un Japonais qui renie à de nombreuses reprises sa foi, foulant aux pieds des images religieuses, avant de toujours se tourner vers le père Rodrigues pour obtenir son pardon. Kichijirô, homme faible et repoussant, symbolise à lui seul l’histoire des chrétiens cachés à l’époque d’Edo et lui donne une portée universelle qui touche l’homme d’aujourd’hui.
Le film est porté par la présence puissante d’acteurs japonais, à commencer par Kubozuka Yôsuke dans le rôle de Kichijirô. Quelques jours avant la conférence de presse du réalisateur, quelques-uns d’entre eux – Kubozuka Yôsuke, Issei Ogata dans le rôle de l’inquisiteur Inoue et Asano Tadanobu, leur interprète – ont parlé, au Club des correspondants étrangers, du travail fourni sur ces rôles et de la collaboration avec Martin Scorsese.
« Dans le roman, mon personnage est un homme faible, mais il abjure tant de fois qu’on ne sait plus s’il est faible ou fort. C’est comme les deux faces d’une même pièce », explique M. Kubozuka. « “Trébucher” et apostasier, c’est différent. Kichijirô trébuche et se relève, et quand il se relève, il retrouve la foi. Endô Shûsaku disait que ce personnage, c’était lui, paraît-il ; Kichijirô est fidèle aux sentiments qui l’envahissent naturellement, il piétine l’effigie du Christ mais croit en Dieu. C’est un rôle extrêmement riche et humain. »
Martin Scorsese lui a confié le rôle de Kichijirô sans la moindre indication sur la façon de le jouer. Il en a été de même pour Issei Ogata, dans le rôle de l’inquisiteur Inoue : « Il regarde d’abord le jeu que propose l’acteur, et l’encourage, c’était bon, continue. Jamais je ne l’ai entendu me critiquer. Quand on se trouve dans cette situation, on a plus d’idées, on développe sa sensibilité. Cela m’a aussi permis de me mettre en phase avec mon partenaire, Rodrigues. »
C’est ainsi que, vers la fin du film, dans son face-à-face avec Rodrigues (Andrew Garfield) qui a fini par abjurer sa foi, sous le coup de sa propre réussite en tant qu’inquisiteur, il s’avance vers lui pour le toucher ; c’est un geste qui lui est venu naturellement.
Pour sa performance dans le rôle de l’inquisiteur qui arrache l’apostasie à Rodrigues en lui montrant les chrétiens cachés torturés et assassinés, un rôle auquel il confère une cruauté non dépourvue d’humour, Ogata a reçu le second prix d’interprétation pour un deuxième rôle masculin, décerné par l’Association des critiques de film de Los Angeles.
Asano Tadanobu, qui a joué dans des super-productions hollywoodiennes comme Thor ou Battleship, avait dans un premier temps passé une audition pour le rôle de Kichijirô, mais Scorsese l’a choisi pour jouer l’interprète. « Le rôle de ce personnage qui fait le lien entre Inoue et Rodrigues n’est pas un rôle simpliste de méchant. Peut-être est-ce un ancien chrétien, quelqu’un qui a perdu la foi et qui maintenant est interprète. » Voilà comment il a abordé son personnage.
Le roman Silence se déroule à Nagasaki, dans le quartier de Sotome. Le film, qui fait la part belle à la mer déchaînée et à la nature, a été tourné à Taïwan. D’après Kubozuka Yôsuke, un certain nombre de spécialistes des tournages de films d’époque des studios de Kyoto ont participé au projet. Martin Scorsese a largement pris en compte leur avis, accordant un soin particulier au rendu historique pendant le tournage. « Si quelque chose clochait, il le faisait immédiatement changer. Du coup, tourner à Taïwan n’avait rien d’étrange. »
Le film est fidèle à l’esprit de l’œuvre originale mais, toujours d’après Kubozuka Yôsuke, Martin Scorsese a sciemment choisi de modifier la scène finale : « C’est une scène cruciale dans la transmission de cette histoire au monde. Il l’a voulue ainsi pour montrer toute la force de l’œuvre originale. »
Comment le Japon et le monde entier ont-ils le reçu le message porté par le Silence de Scorsese ?
(Photo du titre : le réalisateur Martin Scorsese au Japon pour la sortie de Silence. À Tokyo, le 16 janvier 2017. Nippon.com)