Quand gourmandise rime avec plaisir
Un restaurant français, un groupe de personnes par jour, des produits de Fukushima
Visiterle Japon
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Le chef n’élabore son menu qu’après avoir vu les légumes
Le restaurant « Hagi France Ryôriten » se trouve dans le sud de la préfecture de Fukushima, à 10 minutes en voiture de la gare JR d’Iwaki, dans une zone résidentielle, située sur un plateau. Le chef Hagi Harutomo, âgé de 40 ans, ne sert qu’un seul groupe de personnes par jour. Ce pari osé attire même des clients originaires d’autres préfectures. De bon matin, se préparant pour le service du soir, il commence par faire la tournée des maraîchers locaux. Il en visite 4 ou 5. Intransigeant, il ne retient que des légumes dont il a pu s’assurer de ses yeux et de son palais, et qu’il a sélectionnés avec le plus grand soin. En ce qui concerne la viande et le poisson, ils sont choisis en fonction des légumes qui seront cuisinés ce jour-là.
Avant le repas, les légumes, fraîchement cueillis, sont placés dans un bac. Le chef Hagi les emporte et les présente au groupe de convives. Il y a des aubergines zébrées, des asperges, des légumes traditionnels tels que des concombres Ojiroi, des okuimo (sorte de pommes de terre). Il donne avec soin des explications sur chacun des ingrédients qui composeront le repas. La carte, il n’y en a pas. Elle est décidée en fonction des légumes qui seront cueillis ce jour-là. À la place de la carte, avant de servir chacun des plats, la femme du chef apporte aux convives des fiches explicatives sur chacun des ingrédients composant le repas.
En entrée ce jour-là : des junsai cultivés à Ura-Bandai. Ils accompagneront un consommé triple. Pour le chef Hagi, ces junsai, qui se parent d’une abondante gelée externe à la consistance fondante afin de lutter contre le froid, sont sans conteste les meilleurs du Japon. Sur ce lit de junsai, ce sera un consommé triple de bœuf élevé à Fukushima, de chapon de Kawamata et de porc Berkshire de Mandchourie pure race élevé à Iwaki, maïs et oursin. Le dîner commence donc par une sensation agréable, unique et fraîche dans la bouche.
Ensuite, un lit de purée d’okuimo, l’un des légumes traditionnels par excellence d’Iwaki, accompagnera un morceau d’agneau de race Suffolk élevé dans le village de Samegawa, dans la préfecture de Fukushima. L’agneau de race Suffolk, en raison de la qualité de sa viande et de sa graisse, est également appelé « agneau miracle ». L’okuimo, ayant à la fois une texture fondante et une saveur sucrée qui se rapproche de celle de la patate douce, se marie parfaitement avec la viande d’agneau. En garniture, une asperge, dont la consistance rappelle celle des fèves. Ce sont ces ingrédients mêmes que le chef Hagi appelle le « trésor de Fukushima ».
Voir tous les plats du menu du jour à la fin de cet article
Le pari audacieux de ne servir qu’un seul groupe de personnes par jour
Après ses études au lycée, Hagi Harutomo a fréquenté une école de cuisine. En 2000, à l’âge de 23 ans, il ouvre dans sa ville natale son propre restaurant français, de type brasserie, le Bellecour. Comme un prolongement des connaissances apprises sur la cuisine classique dans cette école, il pensait que les légumes n’étaient qu’un simple accompagnement de la viande et du poisson. Les affaires de son restaurant étaient bonnes mais il reconnaît lui-même que sa gestion lui a donné du fil à retordre.
11 mars 2011, tremblement de terre et catastrophe à la centrale nucléaire de Fukushima. Sa vie change du tout au tout.
« Ce jour-là, c’est comme si les couleurs du paysage avaient disparu pour laisser place au noir et au blanc et que d’anonyme, j’étais devenu une victime, un sinistré du tremblement de terre », se souvient-il.
Les dommages dus aux rumeurs circulant sur la ville d’Iwaki ont été considérables, et ce bien que la municipalité n’ait pas été considérée comme zone d’évacuation suite à la catastrophe nucléaire. Et la ville en a énormément pâti. Le fait que la ville ait été privée d’eau pendant un mois n’a rien arrangé. Trois mois après le tremblement de terre, les clients n’étaient toujours pas au rendez-vous.
Hagi Harutomo a donc retroussé ses manches, mis tout son cœur à l’ouvrage et a cuisiné pour un seul groupe de personnes venues dans son restaurant des mets préparés avec une quantité d’ingrédients limités. Et un jour, il a remarqué que les convives ont quitté son établissement le sourire aux lèvres, tel qu’il n’en avait jamais vu auparavant.
La rencontre avec la Ferme Shiraishi
C’est à ce moment-là que le chef Hagi a participé dans la région à des activités avec des producteurs, pas seulement dans son domaine, et qu’il a fait la connaissance de Shiraishi Nagatoshi, âgé de 35 ans, une rencontre qui allait, même s’il ne le savait pas encore, être décisive. Le chef Hagi dégusta des tomates de la Ferme Shiraishi. Elles étaient délicieuses et avaient juste ce qu’il fallait d’acidité. Rien à voir avec des tomates ordinaires. « J’ai eu la conviction que c’était là, la force des ingrédients et j’ai commencé à travailler avec M. Shiraishi à la production de ses légumes. » La municipalité lui a même demandé d'inventer en collaboration avec la Ferme Shiraishi des recettes à base de légumes traditionnels.
Shiraishi Nagatoshi donna des tomates vertes qu’il avait cueillies prêtes à l’expédition. Quelques jours plus tard, le chef Hagi les lui rendit sous forme de confiture. « J’ai été littéralement sous le charme. En une seule bouchée, on comprend tout de suite que la cuisine de ce chef est hors du commun », nous confie M. Shiraishi.
Le chef Hagi se fait sa propre idée en croquant les légumes crus
À la fin de l’été, nous nous sommes rendus avec le chef Hagi à la Ferme Shiraishi, située à une vingtaine de minutes en voiture de son restaurant. Shiraishi Nagatoshi incarne la 8e génération d'agriculteurs à Iwaki, sa ville natale.
M. Shiraishi cultive des légumes d’hiver tels que des choux, des brocolis, des poireaux ou encore des pommes de terre, et des okuimo, légume traditionnel par excellence de la ville d’Iwaki. Il n’utilise ni pesticides, ni engrais chimiques.
Ce jour-là, le chef Hagi croqua crue l’aubergine qui venait d’être cueillie. Elle était croquante, juteuse et sucrée. Pour le chef, le sol du champ de M. Shiraishi est différent.
Des liens solides avec les producteurs locaux
Le chef Hagi avait 35 ans au moment du tremblement de terre. Il avait toujours concentré son attention sur sa cuisine et la gestion de son restaurant, et délaissé le plus important : les ingrédients en eux-mêmes. Il décida de se rendre dans plusieurs exploitations, il se mit à lire des ouvrages sur l’agriculture, il apprit les termes spécifiques, il alla donner un coup de main aux producteurs, une occasion d’approfondir ses relations de confiance dans une ambiance conviviale, jusque tard dans la nuit autour de verres de saké.
Le chef Hagi et M. Shiraishi ont presque le même âge. Ils ont tous deux été victimes du séisme. « Le tremblement de terre a emporté sur son passage de bonnes et de mauvaises choses et nous nous sommes rencontrés au moment où on ne pouvait plus tomber plus bas », se souvient-il.
« Des légumes fraîchement cueillis nous procurent une énergie à 100 %. Et c’est en mettant à profit cette énergie que je me donne moi aussi à 100 %, pour cuisiner des plats qui puissent rivaliser avec cette énergie. C’est comme cela que j’ai complètement changé mon style de cuisine. “Comment faire ressortir le meilleur de ces légumes ? ”, c’est la question qui me taraude chaque jour. »
Aux fourneaux à l’Élysée
Un jour, alors qu’il participait avec M. Shiraishi à des activités de présentation des produits de la région, il reçut un appel de la part du bureau préfectoral de l’Agriculture et des Forêts. Le Club des chefs des chefs voulait l’inviter à passer deux mois en Europe à partir d’octobre 2013.
Cela faisait 18 ans que Hagi Harutomo n’avait pas mis un pied à Paris, depuis la fin de ses études dans une école culinaire. C’était la première fois qu’en tant que chef japonais, il mettait ses talents au profit du Palais de l’Élysée. Et il avait emmené dans ses valises des chapons originaires de Fukushima, du riz, des pêches de la préfecture, dont l’innocuité avait été certifiée. François Hollande, réputé pour son palais de fin gourmet, a donc notamment pu déguster une salade nori-maki de chapon et de légumes et un sorbet à base de riz et de saké.
La production s’exporte hors des frontières de la préfecture
Quand on lui pose la question : « Vous vous en sortez en ne servant qu’un seul groupe de personnes par jour ? » « Oui, ça me suffit », répond-il avec le sourire aux lèvres. Il y a trois menus le midi et le soir, à 10 000 yens, 15 000 yens et 20 000 yens, hors taxes, boissons et service non compris. « Nous n’acceptons les clients que sur réservation. En ne servant qu’un seul groupe de personnes par jour, et en cuisinant des légumes fraîchement cueillis du jour, je pense être en mesure servir des plats dans des conditions optimales. Bien sûr, je ne parle pas d’un menu complet pour 20 personnes. »
Le chef Hagi souhaite répandre un nouveau concept en province et montrer qu’il est possible de gérer son restaurant avec des petites quantités, contrairement à des métropoles telles que Tokyo. En japonais, il y a le mot miyagemono (土産物), qui veut dire « petit souvenir en cadeau ». Il est composé des caractères signifiant « sol » (土), « naissance » (産) et « chose » (物). Ce que le chef Hagi souhaite faire, c’est cuisiner des plats qui seront des cadeaux pour le cœur, principalement à base de légumes de la préfecture de Fukushima.
Exemple d’un menu à base de produits de Fukushima
Enfin, une présentation d’un menu à partir de produits et de légumes traditionnels de la ville d’Iwaki et de la préfecture de Fukushima.
Hagi France Ryôriten
Adresse : 171-10, Onigoe, Uchigô-Midaisakai-machi, Iwaki-shi, Fukusima-ken 973-8409 JAPON
Tél : +81.0246.26.51.74
Site web (uniquement en japonais) : http://www.hagi-france.com/