« Nous vivrons avec la mer » [1] : comment Kesennuma se protège du tsunami

Catastrophe

Imakawa Satoru [Profil]

Kesennuma, au nord-est du Japon, est l’une des nombreuses communes côtières à avoir été touchée de plein fouet par le gigantesque tsunami il y a tout juste dix ans. La population s’est alors déchirée sur une question cruciale : faut-il oui ou non construire des digues un peu partout pour se protéger du prochain désastre, et devoir en contrepartie détruire la nature et s’éloigner de la mer ? Aujourd’hui enfin, les solutions ont été trouvées.

Des lycéens en pleurs pour préserver la nature

Sur les 106 digues comprises dans le projet de réhabilitation, 72 ont été surélevées, les autres étant simplement restaurées ou reconstruites à leur hauteur d’avant la catastrophe. Les concertations avec les habitants ont donné divers résultats, et dans certains cas, comme dans le quartier de Kusakizawa (voir chapitre précédent), le projet a simplement été annulé.

Voici certains cas concrets qui font réfléchir au terme de « consensus » .

Une digue de 14,7 mètres de haut, la plus haute de la préfecture de Miyagi, était prévue pour la plage de Koizumi, qui figure parmi les 100 meilleures plages du Japon pour la baignade par le ministère de l’Environnement. Le coût total des travaux était estimé à 22,3 milliards de yens (172 millions d’euros). La longueur totale de l’ouvrage devait faire 4,6 km, y compris sa partie terminale constituée par une digue fluviale. Mais, vu que la totalité de la population de la zone inondée par le tsunami de mars 2011 a été relogée plus haut, il n’y a aucune habitation située à une hauteur inférieure à celle de la digue. C’est pourquoi des voix se sont élevées pour s’opposer au projet, affirmant qu’il s’agissait d’un gaspillage de l’argent des contribuables, et qu’il était préférable de préserver la nature plutôt que de bétonner.

Les autorités préfectorales, maîtres d’œuvre du projet, ont déclaré qu’un consensus avait d’ores et déjà été atteint lors d’une réunion d’information qui s’était tenue en 2013. Toutefois, plusieurs citoyens ont protesté contre la méthode d’obtention de cet accord, et ont fait signer des pétitions remises ensuite aux gouvernement nationaux et préfectoraux, ce qui a attiré l’attention des médias.

Une nouvelle concertation a eu lieu, mais le président du comité local de promotion a déclaré unilatéralement que le plan était accepté à l’unanimité. Au cours de la réunion d’information de juillet 2014, lorsqu’il a été confirmé que la construction allait commencer, des lycéens ont demandé qu’un plan alternatif soit envisagé, en déclarant : « Nous ne voulons pas être protégés par une digue », mais ils n’ont pas été écoutés. Des pleurs et des larmes de frustration ont éclatées : « On nous dit : c’est pour les générations futures, mais c’est nous la génération future et on ne nous écoute même pas ! »

Les jeunes ont exigé une révision du plan, estimant que la richesse de l’environnement naturel était le meilleur atout pour revitaliser la région, alors que les adultes pensaient que les grands travaux publics et l’urbanisation conduirait au développement de la région. Les deux parties avaient des visions différentes de l’avenir, et elles ne sont jamais parvenues à un accord.

Les digues et les levées sont aujourd’hui presque terminées. Le coût total du projet à ce stade a doublé, et atteint maintenant 49,4 milliards de yens (382 millions d’euros). Mais la plupart des citoyens considèrent que le problème de la digue appartient désormais au passé.

Une grande unité de culture de tomates sous serres est en service à l’arrière de la digue, et une plage a été rouverte en 2019. En outre, des pourparlers sont en cours pour inviter une compagnie de bière de Kamakura à y construire une usine. Le conflit entre les partisans et les opposants du projet a été latent pendant un certain temps, mais cela a été un soulagement pour tous que les pleurs des lycéens aient servi de leçon pour réviser la méthode de recherche de consensus et l’appliquer à la planification des digues dans d’autres municipalités.

La digue de 14,7 mètres de haut sur la plage de Koizumi. L’endroit est fréquenté même en hiver par les amateurs de surf.
La digue de 14,7 mètres de haut sur la plage de Koizumi. L’endroit est fréquenté même en hiver par les amateurs de surf.

Des applaudissements après de véritables discussions

Ôshima est la plus grande île habitée de la région de Tôhoku. Surnommée la « perle verte » en raison de la richesse de sa nature et de la qualité de vie de ses habitants, l’île a bien entendu été secouée par les projets de digues.

La plupart des insulaires avaient des doutes sur l’immense construction et ont refusé le plan de digue de 11,8 mètres de haut au bord d’une plage. La plage voisine a également évité la digue en béton au profit de l’érection d’une colline boisée de prévention des catastrophes. Par contre, la digue de 7,8 mètres de haut prévue pour le port de pêche d’Ura-no-hama, qui était la porte d’entrée de la mer, est devenue sujet de blocage entre le gouvernement préfectoral, qui ne pouvait pas modifier la hauteur de la digue sans raison, et les insulaires, qui exigeaient une révision de la hauteur.

Lors de chaque réunion de concertation, les fonctionnaires de la préfecture essuyaient de sévères critiques : « Ils tentent de faire acter une décision unilatérale basée sur un plan » et « Ils ne tiennent aucun compte des sentiments des personnes qui vivent sur cette île ».

Pour sortir de l’impasse, il a fallu la création du Conseil consultatif pour la reconstruction et que des représentants des habitants et de l’administration s’assoient à la même table. Au lieu d’aller à la confrontation comme des réunions de concertation, ce nouveau type d’assemblée a servi de cadre où l’ensemble des solutions a été envisagé, une par une, la nécessité des digues tout comme l’impact d’un changement de leur hauteur. Toutes ces réunions ont été enregistrées de façon à ce que les acquis ne puissent donner lieu à des revirements ultérieurs.

En guise de résultat, il a été convenu de reculer la digue de 30 mètres du rivage, ce qui a permis d’abaisser sa hauteur de 30 centimètres et de prévoir une couverture herbacée sur tout le flanc de l’ouvrage côté mer. La ville comblera l’arrière de la digue en respectant la même hauteur, y construira dessus des espaces viabilisés.

Finalement, en juillet 2017, la dernière réunion de concertation s’est achevée sous les applaudissements de toute la population de l’île.

Retenons donc qu’un consenus est d’abord une discussion. Quand les informations et les réflexions sont honnêtement partagées, quand les deux partis comprennent les enjeux des deux côtés, et quand sont accueillis autour d’une même table les habitants avec les représentants du gouvernement local, des avancées significatives sont atteintes sans difficultés.

Port de pêche d'Ura-no-hama à Kesennuma-Ôshima. Le mur de béton n'est plus visible, grâce au remblai derrière la digue et à la couverture herbacée du côté de la mer.
Port de pêche d’Ura-no-hama, sur l’île d’Ôshima. Le mur de béton n’est plus visible, grâce au remblai derrière la digue et à la couverture herbacée du côté de la mer.

Suite > Kesennuma : un lieu modèle pour les chercheurs et architectes

Tags

tsunami Fukushima 11 mars séisme reconstruction mer Miyagi Tôhoku

Imakawa SatoruArticles de l'auteur

Né en 1975 à Kesennuma. Il a effectué sa carrière au journal local Sanriku Shimpo comme reporter pendant 15 ans jusqu’en mars 2014. Après la catastrophe de Fukushima, il s’est porté candidat et a été élu au conseil municipal afin de contribuer à la reconstruction.

Autres articles de ce dossier