Des partenariats à l’échelle mondiale
Les cartables japonais « randoseru » contribuent à l’éducation des petits afghans
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Une nouvelle vie « au-delà des mers » pour les randoseru
En juin 2017, un groupe de bénévoles s’est rassemblé dans un entrepôt de Yokohama avec pour mission d’examiner rigoureusement plus de 6 000 cartables d’écoliers usagés en provenance de tout le Japon. La plupart de ces randoseru étaient encore parfaitement utilisables après six ans de bons et loyaux services auprès de leur premier propriétaire. Il faut dire qu’ils résistent en effet à tout (voir notre article Tsuchiya Kaban : du cartable d’écolier au sac à dos pour adulte). Vérification achevée, chacun de ces randoseru chargés de souvenirs devait être expédié en Afghanistan en tant que cadeau d’un enfant japonais à un écolier afghan. Grâce à l’initiative lancée en 2004 par l’organisation non gouvernementale JOICFP (Organisation japonaise pour la coopération internationale en matière de planning familial) et la firme japonaise Kuraray, plus de 180 000 cartables japonais ont ainsi commencé une nouvelle vie en Afghanistan.
Plus de 50 bénévoles s’étaient réunis à Yokohama au mois de juin dernier dans le cadre du programme randoseru. Après s’être assurés que les bretelles, les sangles et les boucles étaient solidement fixées, ils ont chargé chaque cartable avec des fournitures scolaires non utilisées. Parmi ces volontaires se trouvaient plusieurs artisans travaillant pour des fabricants de randoseru qui ont soigneusement vérifié que les cartables ne contenaient aucun élément en peau de porc, car l’Afghanistan est un pays musulman.
Des cartables distribués dans un pays ravagé
En Afghanistan, les enfants n’ont pas tous la chance d’être scolarisés, au contraire. Et parmi les heureux élus, rares sont ceux munis d’un cartable et de fournitures scolaires. Chaque bénéficiaire du programme randoseru reçoit un robuste cartable d’écolier recyclé contenant des cahiers, des crayons à papier, des gommes, des crayons de couleur et d’autres fournitures scolaires neuves, ainsi qu’une lettre et une photographie du jeune donateur japonais. Sur place, les cartables sont distribués par l’ONG United Medical Center for Afghans/Rehabilitation Program for Afghanistan, en collaboration avec l’administration locale, afin que leur nombre corresponde exactement à celui des élèves de l’école ou de la classe concernée, et que personne ne soit oublié.
Le photographe japonais Uchibori Takeshi a lui aussi joué un rôle important dans ce programme. Pendant plus de dix ans, il s’est en effet rendu en Afghanistan chaque année afin de photographier le déroulement des opérations tout en aidant l’équipe locale de l’organisation JOICFP à remettre un à un les randoseru aux écoliers. Ces photographies se retrouvent dans l’album qu’il a publié en 2013 et intitulé Randoseru wa umi o koete (Des cartables japonais au-delà des mers).
La guerre civile qui a ravagé l’Afghanistan pendant des années a pris fin officiellement il y a plus de vingt ans. Mais le pays vit toujours dans une insécurité permanente. Les attaques des Talibans hostiles au gouvernement en place et les attentats perpétrés par l’État islamique se multiplient. Uchibori Takeshi témoigne avoir vu sur place des drones militaires dans le ciel et des tanks dans les rues.
Des sourires sur les visages des écoliers afghans
Pour arriver jusqu’en Afghanistan, les cartables doivent transiter par voie de terre depuis le Pakistan. « Les camions passent par des zones dangereuses et rien ne garantit qu’ils arriveront à bon port », explique Uchibori Takeshi. « Je suis donc d’autant plus heureux quand je vois la joie que provoque les randoseru chez les enfants. » La grande majorité des écoliers que le photographe a rencontrés n’avaient pas de cartable ni de cahier, et ils se rendaient chaque jour à l’école les mains vides. Dans les communautés où les établissements scolaires ont été détruits, les cours ont lieu en plein air et les cartables servent aussi de pupitre.
Les réactions des écoliers afghans devant leurs cadeaux sont gravées à jamais dans la mémoire de M. Uchibori. Il se souvient en particulier d’une petite fille en train de dévorer des yeux et d’examiner sous toutes ses facettes le crayon à section hexagonale orné d’un personnage de dessin animé qu’on venait de lui offrir.
Il se rappelle aussi des cris de joie qui ont salué l’arrivée d’un ballon de football japonais recyclé. « Tu as vu comme il rebondit. C’est incroyable ! » En interrogeant les enfants, le photographe a compris que jusque-là, la majorité d’entre eux n’avaient jamais vu un vrai ballon de près. « Dans ce pays, on manque tellement de tout qu’il peut y avoir des gens qui n’ont jamais touché un ballon de leur vie », précise-t-il.
Une expérience enrichissante pour les petits donateurs japonais
Le projet de recyclage des cartables japonais a été conçu au début des années 2000 par Yamamoto Keiichi, cadre supérieur de Kuraray, une firme qui produit notamment le cuir synthétique entrant dans la fabrication des randoseru. À l’époque, M. Yamamoto était responsable du marketing du secteur des fibres et des textiles et il cherchait à engager son entreprise dans l’action sociale. Il a fini par porter son choix sur les cartables, qui jouent un si grand rôle dans l’éducation primaire au Japon. Ainsi est née l’idée de recycler les randoseru usagés en les offrant à des écoliers de pays défavorisés. Mais Kuraray ne disposait ni du réseau ni des compétences nécessaires pour faire parvenir les cartables aux enfants qui en avaient besoin. L’entreprise japonaise a résolu le problème par le biais d’un partenariat avec la JOICFP, une organisation non-gouvernementale internationale basée au Japon et spécialisée dans la protection maternelle et infantile. C’est grâce à elle et au réseau dont elle dispose que le rêve de Yamamoto Keiichi a pu prendre forme, notamment en Afghanistan.
La plupart des randoseru envoyés en Afghanistan sont accompagnés d’une lettre et d’une photographie de leur petit donateur. « Mieux vaut que les messages arrivent tels qu’ils ont été écrits par les enfants. Une lettre manuscrite transmet forcément les sentiments de son auteur, même si elle est rédigée dans une langue que son destinataire ne peut pas comprendre », explique Kai Wakako qui travaille pour la JOICFP.
Pour les jeunes donateurs de l’Archipel, le programme randoseru est une expérience enrichissante que le photographe Uchibori Takeshi s’efforce de faire partager à davantage d’enfants en présentant les photos de son album Randoseru wa umi o koete dans des établissements primaires, un peu partout à travers le Japon. Il demande toujours aux écoliers de lui dire quelles sont leurs photos préférées et d’expliquer leur choix. C’est ainsi qu’il a entendu un enfant en pleurs lui déclarer « À partir de maintenant, je ne vais plus laisser une miette de mon déjeuner à la cantine », après avoir appris que de nombreux petits réfugiés afghans souffraient de famine.
Kai Wakako pense que pour les enfants japonais, donner leur cartable à un écolier vivant dans un pays aussi lointain que l’Afghanistan peut constituer le point de départ d’une prise de conscience sociale et d’une ouverture sur le monde. Une partie de ceux qui ont vécu cette expérience se sont d’ailleurs manifestés des années plus tard, une fois devenus adultes, en se portant volontaires pour inspecter et emballer des cartables usagés. D’autres ont participé à des projets organisés par la JOICFP quand ils sont entrés à l’université.
Les randoseru, symbole de l’éducation en Afghanistan
Le programme randoseru a un impact sur l’éducation en Afghanistan qui va bien au-delà du don de cartables d’écoliers remplis de fournitures scolaires. Kai Wakako nous explique que dans les villages reculés, où l’assiduité scolaire est relativement faible, il était jusque-là difficile de pouvoir affirmer si les enfants prenaient le chemin de l’école ou bien s’ils allaient jouer ou garder les moutons, car aucun d’entre eux ne possédait de fournitures scolaires. « Mais maintenant, il suffit de les voir muni d’un cartable pour savoir ce qu’ils font. » Quand les parents voient leurs petits voisins partir ou revenir avec de superbes randoseru, ils commencent à se dire qu’ils devraient faire la même chose avec leurs propres progénitures. Par conséquent, le nombre des élèves inscrits à l’école augmente, et le village tout entier commence à envisager l’amélioration de ses installations scolaires
Une contribution à l’instruction des jeunes filles afghanes
Pendant toute la période où les Talibans faisaient la loi en Afghanistan (1996-2001), il était interdit aux filles d’aller à l’école. Et même à présent, alors que la situation s’est nettement améliorée, beaucoup d’Afghans ne souhaitent toujours pas que les femmes aient accès à l’éducation. Le World Factbook de la CIA pour l’année 2015 a estimé le taux d’alphabétisation des Afghanes à 24 %, c’est-à-dire un des plus faibles du monde.
Mais heureusement, les choses sont en train d’évoluer. Il y a quelque temps, le siège de la JOICFP au Japon a reçu une très bonne nouvelle. Une jeune Afghane ayant bénéficié du programme randoseru venait d’être admise dans une faculté de médecine. Pourtant, elle était originaire d’une région de l’Afghanistan où les filles en particulier peinaient très durement à poursuivre les études. Kai Wakako, visiblement émue, a salué l’événement : « Si le programme randoseru permet à un ou deux enfants de réussir de cette façon, c’est déjà très bien. Et je serais tout à fait comblée si leur nombre pouvait augmenter. »
Un message venu des écoliers afghans (avec l’aimable autorisation de la JOICFP)