Les défis de la réforme du travail au Japon

Société

La réforme du travail est l’une des priorités du gouvernement Abe. Sera-t-il capable d’apporter une solution efficace aux longues heures supplémentaires qui accablent les Japonais depuis des décennies ?

Faire participer l’opinion publique à une réforme voulue par le gouvernement

Signe que le gouvernement est fortement impliqué dans la participation proactive des citoyens dans la société et dans la réforme du travail : des ministres ont été nommés à ces postes. De même, des conseils d’experts ont été mis en place. Pourtant, la réforme promue par le bureau du Premier ministre comporte des angles morts.

La nomination de ministres et la sollicitation d’experts soulignent le sérieux de l’engagement du gouvernement, mais on peut aussi y voir une simple stratégie de conciliation. Lors des élections sénatoriales de l’été dernier, sur la question de l’emploi, la majorité et l’opposition ont présenté des mesures similaires. Le Parti libéral-démocrate au pouvoir, en assimilant certaines propositions de l’opposition, semble chercher à clore le débat et à relever sa cote de popularité.

Les commissions d’experts rassemblent les représentants des employeurs et des travailleurs, à savoir des personnalités comme le président de la Fédération japonaise des entreprises, le Keidanren, et celui la Confédération des syndicats des travailleurs au Japon, le Rengô. Ils représentent avant tout les intérêts des grandes entreprises, alors que près de 60 % de la population japonaise travaille dans des PME. Comment les intérêts de ces travailleurs seront-ils pris en compte ? En outre, environ 40 % des travailleurs sont sous contrat précaire, et le nombre de travailleurs indépendants croît. On peut se demander si la main-d’œuvre dans sa diversité est correctement représentée.

On parle de réforme de la façon de travailler, mais il s’agit en fait d’une réforme de la façon dont les entreprises font travailler leur personnel. Je n’ai pas l’intention de formuler de critiques sur ce point, car le travail est le fruit d’un équilibre entre la main-d’œuvre et le patronat. Mais on peut se demander si la réforme proposée par le gouvernement ne se fait pas sans les employés, et sans les entreprises.

En effet, on n’y trouve même pas une logique d’entrepreneur. De toute évidence, le niveau de vie des travailleurs ne peut s’améliorer que si les entreprises font des profits. Cette réforme va-t-elle bénéficier aux sociétés ? Se contenter de limiter les coûts de main-d’œuvre n’a aucun sens, il faut améliorer les performances des entreprises.

Un tel débat est indissociable d’une approche théorique de la productivité, évaluée sur la base de la quantité de travail investi et la valeur ajoutée générée. On entend souvent dire que la productivité est faible au Japon, mais les pays les mieux classés sont ceux qui bénéficient d’abondantes ressources naturelles, d’une position de plaque tournante dans le domaine financier ou dont l’industrie génère une importante valeur ajoutée rare. La plupart des médias, sans tenir compte de cette réalité, mettent l’accent sur l’organisation de réunions inutiles et décrètent que la productivité est faible au Japon. Pourquoi ne s’interrogent-ils pas davantage sur le fait que le Japon est moins bien classé que des pays qui ont fait faillite, tels que l’Islande ou la Grèce ?

Si l’ État s’engage dans la discussion portant sur la façon de travailler, sans une vision de croissance claire et stratégique sur les industries porteuses, le débat se limitera à des détails, à des mesures dépourvues d’envergure. La productivité n’augmentera pas tant que la question de la hausse de la valeur ajoutée ne sera pas posée.

Envisager une réforme du travail demande de laisser de côté les émotions et les idées préconçues afin de comprendre le pourquoi de la situation. Effectuer de longues heures de travail n’est bon ni pour la santé ni pour la sécurité des travailleurs, mais si la situation perdure, c’est parce qu’elle repose sur une sorte de rationalité. Les entreprises disposent ainsi d’une marge de manœuvre, en temps de prospérité comme en temps de crise, sans avoir à recruter ou à licencier d’employés. Si une entreprise peine à trouver, au sein de sa propre structure ou sur le marché du travail, du personnel ayant les mêmes qualifications que celui qu’elle emploie, l’allongement du temps de travail est une solution pratique. La véritable question est donc de savoir comment combattre cette rationalité.

La réforme du travail – par-delà la réduction du temps de travail – proposée par le bureau du Premier ministre ne se réduit-elle pas à un projet qui déléguerait la responsabilité aux entreprises, chargées de trouver des solutions elles-mêmes ? Nous devons nous faire entendre afin que cette réforme ne perde pas de vue les travailleurs, et qu’elle ne s’avère pas contre-productive pour le pays.

(D’après un article en japonais du 20 octobre 2016. Photo de titre : le bureau de Kamiyama, préfecture de Tokushima, de la société Plat-Ease, spécialisée dans les solutions complètes de métadonnées et les services de diffusion vidéo. Le bâtiment en bois a été rénové pour installer des lignes de communication performantes pour la gestion des données. Août 2013. Jiji Press)

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