Tanaka Kakuei, ou le conservatisme modéré

Politique

Plus de vingt ans après sa mort, Tanaka Kakuei (1918-1993), Premier ministre du Japon de 1972 à 1974, bénéficie d’un regain de popularité. Hayano Tôru qui en tant que journaliste a suivi pendant vingt ans le parcours de cet homme politique hors du commun explique les raisons du retour en grâce de celui que l’on a qualifié de « shôgun de l’ombre ».

Un défenseur ardent de la Constitution japonaise et de la paix

Depuis quelques temps, je reçois de nombreuses demandes de conférences sur Tanaka Kakuei, à cause du regain de popularité dont il jouit depuis le vingtième anniversaire de sa disparition. Un des points sur lesquels j’insiste le plus et auquel mes auditeurs sont particulièrement sensibles, c’est que ce personnage était un ardent défenseur de la Constitution japonaise de l’après-guerre, même si sa carrière a été par ailleurs entachée de scandales liés à la corruption.

Quand il s’est présenté à l’élection pour la présidence du parti libéral-démocrate (PLD), en 1972, Tanaka Kakuei a proposé un programme en dix points qui préconisait, entre autres, de fonder la politique étrangère du Japon sur l’Article 9 de la Constitution de 1947, au lieu de chercher à faire de l’Archipel une grande puissance militaire. Sa position sur l’Article 9 — qui stipule que le Japon renonce à la guerre en tant que droit souverain et au maintien d’un potentiel militaire — a été accueillie favorablement par les dirigeants de la République populaire de Chine et c’est d’ailleurs l’un des facteurs qui a contribué à la normalisation des relations entre les deux pays.

Depuis sa fondation en 1955, le PLD cherchait à amender l’Article 9 et à doter à nouveau l’Archipel de forces armées sous prétexte que la Constitution de 1947 avait été imposée aux Japonais par les forces d’occupation américaines. Tanaka Kakuei s’est exprimé clairement sur ce point lors d’une émission télévisée diffusée en 1980, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la création du parti libéral-démocrate. Pour lui, si l’objectif des forces d’occupation était indéniablement d’affaiblir le Japon, il n’en reste pas moins que sans la sagesse propre aux Japonais l’Archipel n’aurait jamais aussi bien intégré la loi fondamentale et le système de l’après-guerre.

En dépit d’une volonté affichée d’amender la Constitution, le PLD n’était pas vraiment mécontent de la clause de renonciation à la guerre de l’Article 9 parce qu’elle permettait au pays de consacrer l’essentiel de ses ressources à la croissance économique. Tanaka Kakuei était foncièrement pacifiste et ses idées s’accordaient parfaitement avec l’aversion que le peuple japonais éprouvait pour la guerre et son désir de mener une vie paisible et prospère.

Une stature politique hors du commun

Abe Shinzô est nettement moins convaincu des mérites de l’Article 9. Il considère en effet que celui-ci lui relève de la  « manipulation mentale » et envisage d’en modifier l’interprétation officielle. Il revendique le droit souverain du Japon à l’autodéfense collective ce qui implique un rôle accru dans la gestion des conflits menaçant la sécurité internationale. Les adversaires du Premier ministre lui reprochent de vouloir transformer la position uniquement axée sur l’autodéfense du Japon en participant à des conflits à l’étranger, ce qui rendrait l’Article 9 caduque.

Les tensions internationales auxquelles Abe Shinzô fait souvent allusion sont à bien des égards le résultat de sa propre stratégie politique de confrontation. Tanaka Kakuei serait certainement intervenu pour éviter que les relations avec les pays voisins ne s’enveniment. Aujourd’hui, presque soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants politiques semblent avoir en partie perdu la capacité de faire des compromis.

Les premiers ministres de l’immédiat après-guerre — en particulier Yoshida Shigeru (1878-1967), Kishi Nobusuke (1896-1987), Ikeda Hayato (1899-1965) et Satô Eisaku (1901-1975) — avaient une autre envergure que ceux d’aujourd’hui, sans doute parce qu’ils avaient vécu la période difficile de la Seconde Guerre mondiale. Tanaka Kakuei faisait partie de la génération des leaders du PLD — entre autres Fukuda Takeo (1905-1995), Ôhira Masayoshi (1910-1980) et Nakasone Yasuhiro (1918-) — qui se sont affrontés les uns les autres à travers des luttes intenses entre factions du même parti. Mais Kaku-san était au-dessus de ces querelles internes. C’était un homme de cœur, qui a eu une vie particulièrement dramatique. Voilà pourquoi les Japonais se souviennent de lui encore aujourd’hui avec affection.

Rien ne permet de dire que Tanaka Kakuei ferait mieux s’il était confronté à la situation actuelle. Mais le regain de popularité dont il fait l’objet donne à penser que le peuple japonais se sent nettement en désaccord avec les orientations politiques actuelles de ses dirigeants.

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