La mode nippone passe par les régions
Momotaro Jeans : le denim premium d’un village de pêcheurs japonais
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Un haut lieu du denim japonais qui attire les amoureux du jeans
Le quartier d’Aoyama, à Tokyo, et ses boutiques de luxe. Une marque régionale de jeans possède sa boutique dans le nouvel immeuble emblématique du quartier, le AO Bldg. : Momotaro Jeans. Ses jeans, fabriqués dans une toile denim à la texture agréable et solide, sont confectionnés à l’ancienne. Comptez à partir de 30 000 yens (180 euros), un prix élevé, mais qui séduit une clientèle principalement masculine, trentenaires et quadragénaires en tête.
Le berceau de la marque se situe à Kojima, un village de pêcheurs rattaché à la municipalité de Kurashiki ; c’est le lieu de naissance du jeans japonais et, aujourd’hui, la « Mecque » du denim. Kojima a longtemps prospéré grâce à la production textile : une histoire qui débute par la culture du coton dans les zones conquises sur la mer et se poursuit à l’époque d’Edo avec la fabrication des cordelettes pour poignée de sabre, puis celle des chaussettes tabi à l’ère Meiji, avant d’atteindre son apogée après la guerre grâce à la confection d’uniformes scolaires. C’est toujours à Kojima qu’au début des années 1960, le fabricant de textile Maruo Hifuku (aujourd’hui Big John) se lance dans la production de denim et donne naissance aux jeans japonais. Les techniques de couture à la machine de cette toile épaisse s’ajoutent au savoir-faire accumulé après-guerre dans la confection des uniformes scolaires, et Kojima devient en un clin d’œil le berceau de la production de denim.
Grâce à ces compétences techniques de haut niveau, Kojima devient synonyme de denim pour les marques japonaises comme étrangères, et les carnets de commandes se remplissent. Avec l’apparition des jeans à bas prix, le village se concentre sur la confection de produits à forte valeur ajoutée. S’appuyant sur le savoir-faire engrangé dans la sous-traitance et sur leurs compétences en matière de design, certaines entreprises lancent leur propre marque. Aujourd’hui, une trentaine de fabricants de jeans et plus de 200 entreprises du secteur assurent 40 % de la production japonaise de jeans. Et les acheteurs professionnels japonais comme étrangers, sans oublier les amoureux du jeans, font le déplacement jusqu’à Kojima.
« L’amour du jeans » jusque dans les moindres détails
Petit tour d’horizon des marques de jeans fabriquées à Kojima : des classiques comme Big John et Johnbull, mais aussi Betty Smith, pionnier des jeans pour femme, des marques prisées des plus célèbres select shops comme Dania Japan, et d’autres comme High Rock, spécialisé dans les pantalons « bush » ou Kapital et ses designs originaux. Entre toutes, la marque Momotaro Jeans de la sociéte Rampu-ya, pour qui la qualité de la production interdit toute concession, a séduit les amoureux de jeans du monde entier.
Le secret de ce denim souple et confortable, qui vieillit à merveille en laissant apparaître des lignes blanches sur l’étoffe comme c’est le propre des jeans vintage, réside dans le coton du Zimbabwe. Lustré et doux au toucher, ce coton de qualité est généralement utilisé pour la confection de chemises de luxe. C’est avec un métier à tisser mécanique d’ancienne génération, à navette, qu’est fabriqué ce denim doté du liséré indissociable du denim selvage vintage. Afin d’obtenir cette texture inégale, pas absolument plane, Momotaro Jeans continue à utiliser les métiers à tisser anciens abandonnés avec le tissage industriel. En matière de teinture, outre l’indigo courant, les artisans teignent également des pièces à la main, avec de l’indigo naturel, pour obtenir un bleu typiquement japonais. Enfin, le rivet intérieur des poches arrière est orné du blason de Momotaro Jeans et la braguette à boutons décorée d’un symbole en forme de pêche (momo désignant ce fruit en japonais), autant de détails soulignant la recherche et le plaisir associés à la conception des jeans. Une qualité irréprochable et un design étudié, appréciés des consommateurs épris d’authenticité : la marque gère aujourd’hui quatre boutiques en propre, dont celle d’Aoyama à Tokyo, tout en étant distribuée dans plus de cent magasins à travers l’Archipel.
Momotaro Jeans éveille également un vif intérêt à l’étranger et, en 2010, une vente spéciale a été organisée en Thaïlande avec le grand magasin Isetan. Depuis 2011, la marque participe au salon de mode urbaine Capsule, à New York et Paris entre autres. « La beauté de l’indigo propre à Momotaro Jeans nous a attiré de nombreux commentaires positifs », révèle le responsable commercial de la marque, Tabuchi Tatsushi.
En 2011 a été créée la marque Japan Blue, davantage tournée vers l’international, et les deux gammes sont actuellement commercialisées dans soixante-dix boutiques à l’étranger.
Depuis quelque temps, les demandes d’information en provenance de l’étranger affluent sur la page Facebook de la marque, qui envisage de diffuser par ce biais la présentation des nouvelles collections et autres informations destinées à la clientèle. M. Tabuchi attribue cet écho à « l’esprit dans lequel les produits sont fabriqués, étranger aux concessions. » Ce que recherche Momotaro Jeans, « c’est dépasser le cadre de la simple mode, pour devenir une marque à part entière de vêtements longuement portés et chéris. » Cet « amour du jeans » présent dans le moindre détail, tant pour les matériaux que la teinture et la confection, est partagé par les aficionados du monde entier.
Le jean délavé, né à Kojima
Une autre spécificité de Kojima est l’existence d’une véritable division du travail. Les divers processus — tissage, teinture, confection, traitement —, hautement spécialisés, requièrent des techniques extrêmement spécifiques. C’est particulièrement dans le domaine du traitement que Kojima a acquis sa réputation. A l’époque, comme les jeans américains au denim raide n’avaient pas la faveur des Japonais, les artisans de Kojima ont cherché à rendre leur texture plus agréable ; c’est ainsi qu’est née la technique de lavage du denim.
De nombreuses techniques de transformation sont ensuite apparues, au premier rang desquelles le stonewash, un traitement à la pierre ponce inventé au Japon. Le boom des jeans vintage dans les années 1990, la mode des jeans premium depuis le début des années 2000… le succès des jeans coûteux, nécessitant des traitements spécialisés, a permis d’asseoir le savoir-faire de Kojima auprès des fabricants de prêt-à-porter et des designers, et de nombreux jeans premium sont sortis de ses fabriques.
Aujourd’hui, parmi la vingtaine d’entreprises spécialisées dans le traitement des jeans à Kojima, c’est Bitou qui est le plus en vue, pour ses techniques pointues et sa créativité. En 2010, l’entreprise est chargée du traitement des jeans d’une nouvelle marque japonaise, KURO, qui fait parler d’elle dans les salons professionnels en Italie, en Allemagne et en France notamment.
Le PDG de l’entreprise, Shintani Junichi, nous explique que « le traitement des jeans classiques requiert entre huit et dix processus, qui peuvent être subdivisés en plus de trente opérations. » Par exemple, pour l’effet « froissé », qui donne l’impression que le jeans est porté depuis longtemps, ou pour le « sablage », un délavage par projection de sable sous haute pression, les procédés sont décomposés en diverses tâches. Précisions de M. Shintani : « Notre spécificité est d’assurer la production de petits lots, et une fabrication manuelle totalement artisanale. Cela prend du temps et de l’énergie, mais c’est la clé de la richesse d’expression propre à Bitou. Notre force réside également dans la formation de la jeune génération, qui constitue un réel appui technologique. Comme nous mettons au point et adoptons continuellement de nouvelles techniques de traitement, nous possédons des techniques originales inimitables, ce qui constitue aussi un avantage. » Depuis plusieurs années, Bitou assure le traitement et les finitions pour 400 marques, parmi lesquelles de célèbres marques étrangères.
Une force technique en matière de tissage, de confection et de traitement, l’amour du détail et le sens esthétique des artisans, et enfin, une texture et un art du détail nés de la passion… les jeans de Kojima se nourrissent de la combinaison de ces éléments. C’est précisément parce qu’il s’agit d’un produit authentique, fruit du travail de nombreux artisans et de leur savoir-faire, que le jeans « fabriqué à Kojima » est en train d’accéder au statut de marque. Une lancée que rien ne semble pouvoir arrêter.
(Reportage de Nogami Tomoko. Photos : Miyamae Sachiko)
Histoire du textile à Kojima
Époque d’Edo | Expansion grâce à la culture du coton et implantation de l’industrie textile |
Années 1880 | Création de plusieurs filatures, début de la fabrication de toiles |
Ère Taisho | Boom de la production de tabi |
1921 | Début de la confection d’uniformes scolaires en série |
1958 | Maruo Hifuku (aujourd’hui Big John) se lance dans l’importation et la commercialisation de jeans |
Années 1960 | Apogée de la confection d’uniformes scolaires en série ; Maruo Hifuku commercialise des jeans de sa confection |
Années 1970 | Naissance des jeans de Kojima, entièrement fabriqués avec de l’étoffe, du fil et des rivets produits sur place ; début du traitement par lavage |
Années 1980 | Début du délavage à la pierre ponce et par traitement chimique |
Années 1990 | Boom des jeans vintage |
Années 2000 | Mode des jeans premium |
Sources documentaires : Histoire du jeans au Japon, Sugiyama Shinsaku, Editions Kibito ; L’industrie textile à Okayama, Préfecture d’Okayama