L’ophtalmologiste japonais applaudi par le monde entier

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Akahoshi Takayuki travaille au Mitsui Memorial Hospital, un établissement situé à Tokyo. Il est toujours en train de courir, pour gagner du temps. Quand nous l’avons interviewé, il avait effectué près de soixante opérations de la cataracte dans la journée. La norme, selon lui. S’il est en mesure de soigner autant de patients chaque jour, c’est à cause de sa forte motivation et de la technique chirurgicale révolutionnaire qu’il a mise au point.

Akahoshi Takayuki AKAHOSHI Takayuki

Né en 1957 dans la préfecture de Kanagawa. Directeur du service d’ophtalmologie du Mitsui Memorial Hospital de Tokyo. Diplômé de l’École de médecine Jichi de Shimotsuke, dans la préfecture de Tochigi. À la fin de ses études, il entre au département d’ophtalmologie de la faculté de médecine de l’Université de Tokyo. Il travaille dans divers établissements hospitaliers dont l’hôpital de la Croix-Rouge japonaise de Musashino, avant d’intégrer le Mitsui Memorial Hospital où il occupe le poste qui est actuellement le sien depuis 1992. Il met au point une nouvelle technique chirurgicale pour traiter la cataracte appelée « phaco prechop » actuellement utilisée dans 66 pays. Lauréat du prix Kelman (Kelman Award) 2017 de la Société hellénique d’implants intraoculaires et de chirurgie réfractive (HSIOIRS).

« La cataracte, c’est-à-dire l’opacification du cristallin, est une affection de l’œil liée au vieillissement, comme les cheveux blancs », explique le docteur Akahoshi. « Il suffit de retirer le cristallin opaque et de le remplacer par un implant intraoculaire – autrement dit un cristallin artificiel – pour que les malades retrouvent une vue normale. Depuis quelques temps, on a fait de tels progrès en matière de lentilles intraoculaires que l’on peut aussi corriger l’astigmatisme et la presbytie. Après l’opération, les patients sont souvent surpris de constater à quel point leur vision est nette. »

Akahoshi Takayuki, le chirurgien japonais qui fait autorité dans le monde en matière de traitement de la cataracte.

Mais si le traitement de la cataracte par la chirurgie est efficace, il n’est pas à la portée de toutes les bourses. C’est pourquoi cette affection de l’œil reste la première cause de cécité dans le monde. « Beaucoup de ceux qui sont atteints par cette maladie n’ont pas les moyens d’accéder au type de soins adéquats », déplore le docteur Akahoshi qui fait quant à lui tout son possible pour que les choses changent.

L’opération classique de la cataracte consiste à pratiquer une petite incision dans la cornée et l’enveloppe transparente – la capsule – qui entoure complètement le cristallin. On insère ensuite un petit instrument en métal qui bombarde le cristallin d’ultrasons en vue de le fragmenter. Le cristallin fracturé est retiré de l’œil puis remplacé par une lentille intraoculaire artificielle. On désigne cette technique chirurgicale sous le nom de phacoémulsification (PKE). Avec l’âge, le cristallin s’épaissit. Il doit être extrait rapidement par une ouverture aussi réduite que possible, sans endommager la fine enveloppe qui l’entoure. Une incision trop importante risque en effet de provoquer une déformation et par voie de conséquence un astigmatisme postopératoire. Par ailleurs plus l’intervention est longue, plus le risque de lésions des cellules de la cornée et de complications infectieuses augmente.

La technique de phacoémulsification la plus courante à l’heure actuelle dans le monde s’appelle « Divide and Conquer » (littéralement « diviser pour régner »). Inventée par le célèbre ophtalmologue canadien Howard Gimbel, elle consiste à graver, à l’aide d’ultrasons, deux rainures orthogonales dans le cristallin et à diviser celui-ci en quatre parties avant de l’extraire de sa capsule(*1). Mais d’après le docteur Akahoshi, « cette méthode a des inconvénients. Si les entailles ne sont pas assez profondes, le cristallin ne se fragmente pas correctement et si elles le sont trop, on court le risque de traverser son enveloppe protectrice. Je me suis donc demandé si on ne pouvait pas trouver une façon plus simple et plus fiable de procéder. Un jour, il y a 27 ans de cela, une idée m’a traversé l’esprit. Ne pourrait-on pas fragmenter plus facilement le cristallin en introduisant dedans une petite pince très fine émettant des vibrations de type ultrasonique que l’on ouvrirait une fois à l’intérieur ? »

Le « prechopper », une pince de précision pour découper le cristallin

Akahoshi Takayuki a aussitôt voulu se doter de la pince émettant des ultrasons qu’il avait imaginée. Mais à l’époque, il ne disposait que de son salaire de médecin d’hôpital et d’aucun fonds. Et il n’a trouvé aucun appui du côté du secteur privé. Il a donc décidé d’orienter ses recherches vers les instruments chirurgicaux déjà existants. Et son choix s’est finalement porté vers une pince de précision.

« L’extrémité de cette petite pince étant extrêmement fine et acérée, je me suis dit qu’elle pourrait très bien convenir. Au moment de l’intervention, je lui ai ajouté un embout à ultrasons et j’ai introduit directement le tout au cœur du cristallin. J’ai ouvert la pince une fois à l’intérieur, ce qui a eu pour effet de fragmenter le cristallin avec précision. Il a suffi alors que je soumette celui-ci pendant quelques secondes à des vibrations ultrasoniques pour le pulvériser. L’enveloppe du cristallin a ensuite été vidée de son contenu par aspiration. Une réussite ! Je me souviens encore de l’émotion que j’ai éprouvée sur le moment. J’étais tout tremblant. Par la suite, j’ai réalisé que lorsque la cataracte n’est pas à un stade avancé, on peut se contenter de fragmenter le cristallin avec la pince de précision sans recourir aux ultrasons. »

En 1992, le docteur Akahoshi a réussi à mettre au point une méthode fiable, rapide et performante appelée « phaco prechop » consistant à découper (chop) le cristallin (phaco) avant de (pre) l’émulsifier par les ultrasons (phacoémulsification). Du coup, le temps nécessaire pour effectuer l’opération de la cataracte est passé de 20-30 minutes à moins de 5 minutes et la fréquence des complications postopératoires a considérablement diminué.

Le « prechopper », la pince de précision ultrafine spécialement conçue par Akahoshi Takayuki pour fragmenter le cristallin en quatre parties

L’extrémité acérée du « prechopper » inventé par le docteur Akahoshi

Akahoshi Takayuki a ensuite continué à chercher des instruments et des techniques en vue de réduire la taille de l’incision pratiquée dans la cornée au moment du remplacement du cristallin opacifié par une lentille intraoculaire de 6 millimètres de diamètre. Pour ce faire, il a eu recours non seulement à un bistouri à pointe en diamant ultrafine mais aussi à un « injecteur », un instrument spécialement étudié pour compresser l’implant oculaire et faciliter son introduction rapide dans l’enveloppe du cristallin.

« Avec ma nouvelle méthode, l’incision de la cornée, jusque-là de 3,2 millimètres, se limite à 1,8 millimètre », précise l’ophtalmologue. « De ce fait, le risque d’astigmatisme postopératoire, qui est proportionnel à la longueur de l’incision de la cornée, est nettement moindre. Une micro incision de 1,8 millimètre a l’avantage de cicatriser naturellement, sans qu’il y ait besoin de point de suture et que la cornée soit déformée. Et en 2004, j’ai fini par trouver une façon d’opérer la cataracte excluant tout risque d’astigmatisme consécutif à l’intervention. »

(*1) ^ Howard Gimbel, né en 1934, est aussi l’inventeur de la fameuse technique chirurgicale capsulorhexis (Continuous Curvilinear Capsulorhexis, CCC) qui consiste à déchirer l’enveloppe du cristallin à l’aide d’une pince et à faire une découpe circulaire d’un diamètre d’environ 5 mm. Cette méthode est beaucoup plus longue et invasive que celle proposée par Akahoshi Takayuki.

Les réactions surprenantes du corps médical japonais

La technique inventée par Akahoshi Takayuki pour soigner la cataracte a suscité des réactions pour le moins inattendues. Une partie du corps médical japonais a en effet exprimé la crainte de voir le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales réduire la rémunération versée aux chirurgiens pour l’opération de la cataracte à cause de la diminution de la durée de l’intervention. Le docteur Akahoshi dit qu’on lui a même vivement conseillé de « ne pas révéler aux médias que l’opération peut se faire en 5 minutes », et de « dire qu’elle dure une heure et requiert la présence de quatre praticiens expérimentés ». Mais l’ophtalmologue japonais n’a pas baissé les bras pour autant.

« D’autres médecins prétendent que les patients soumis à une opération de la cataracte doivent être hospitalisés alors que la méthode de découpe préalable du cristallin (phaco prechop) peut parfaitement se dérouler dans la cadre de la chirurgie ambulatoire. D’ailleurs, la majorité des patients âgés de 50 ans et plus préfèrent de loin ne pas rester à l’hôpital, dans la mesure du possible. J’ai donc continué à travailler dans ce sens, sans me préoccuper des pressions de toutes sortes auxquelles j’ai eu droit. »

Akahoshi Takayuki au cours d’une opération de la cataracte. Grâce à la technique révolutionnaire qu’il a inventée, l’intervention dure moins de 5 minutes. Elle est effectuée sous contrôle visuel indirect, à travers l’oculaire d’un microscope opératoire.

Un ophtalmologue plus apprécié à l’étranger que dans son propre pays

Cela fait un quart de siècle qu’Akahoshi Takayuki a inventé la technique chirurgicale « phaco prechop ». Au fil du temps, il a fini par rallier de plus en plus de soutiens à sa cause. À l’heure actuelle, quelque 1 800 médecins japonais lui confient leurs patients affectés par la cataracte. Le nombre des interventions pratiquées au Mitsui Memorial Hospital, où il travaille, a atteint le chiffre record de 7 200 par an. Le docteur Akahoshi opère également dans d’autres établissements hospitaliers si bien qu’en 2015, il a effectué au total plus de 10 000 opérations de la cataracte.

« En 1996, j’ai présenté ma nouvelle méthode aux États-Unis en effectuant une opération de démonstration en direct, à la demande de l’Académie américaine d’ophtalmologie (AAO) de San Francisco, l’organisme le plus influent dans le monde en matière d’ophtalmologie. Je suis le premier Japonais à avoir eu cet honneur. Les images provenant de mon microscope opératoire ont été transmises en direct par satellite et projetées sur un grand écran devant les milliers de médecins venus participer à l’assemblée annuelle de l’AAO. Quand l’intervention a pris fin, tout le monde s’est levé et j’ai eu droit à une véritable ovation. Ma méthode a été totalement approuvée par l’assistance. J’ai été également invité au Canada par le grand ophtalmologue Howard Gimbel. Il m’a lui aussi demandé d’opérer en direct devant des praticiens. J’ai été très impressionné par sa grandeur d’âme parce que, d’une certaine façon, mes méthodes remettent en cause les siennes. »

Akahoshi Takayuki est invité chaque année par de nombreux pays à participer à des colloques où il présente sa nouvelle méthode pour opérer la cataracte. Des images de l’intervention effectuée en direct sont projetées dans la salle de conférence, comme ci-dessus.

Chaque année, le docteur Akahoshi reçoit de nombreuses invitations en provenance de l’étranger lui demandant de donner des conférences et d’effectuer des interventions de la cataracte en direct. À ce jour, il s’est rendu dans plus de 66 pays différents. Ces nombreux voyages ont aussi le mérite de lui permettre d’approfondir ses connaissances sur la maladie qu’il combat. « Les symptômes de la cataracte varient d’un pays et d’une région à l’autre. Dans les zones situées près de l’équateur ou fortement exposées aux rayons ultra-violets, par exemple, le cristallin finit par devenir aussi dur qu’une pierre. Retirer une lentille durcie en utilisant les techniques classiques de phacoémulsification demande beaucoup de temps et multiplie les risques de complications. Mais la méthode que je préconise n’a pas cet inconvénient puisque le cristallin est pulvérisé avant d’être extrait. L’intervention peut donc se faire rapidement et en toute sécurité. « Phaco prechop » est de plus en plus utilisé en Amérique centrale et du Sud, en particulier au Brésil et au Mexique. »

Ne pas garder le savoir pour soi mais le transmettre aux autres

Akahoshi Takayuki ne demande pas mieux que d’expliquer en détails les techniques chirurgicales qu’il a inventées, et ce partout où il va. Mais à une condition. Il demande en effet aux chirurgiens de ne pas garder le savoir qu’il leur communique pour eux et de le transmettre à d’autres médecins. Il n’a pas non plus fait breveter les instruments chirurgicaux spécifiques qu’il a inventés afin que leur prix reste bas et que dans chaque pays, des entreprises locales puissent les fabriquer sur place.

Le 3 mars 2017, la Société hellénique d’implants intraoculaires et de chirurgie réfractive (HSIOIRS) a remis le dixième prix Kelman au docteur Akahoshi en saluant ses techniques chirurgicales innovantes et sa détermination à les enseigner et à les diffuser.

Akahoshi Takayuki en train d’effectuer une opération de démonstration de la cataracte en direct devant les caméras, à l’occasion d’un colloque qui s’est tenu au Pakistan.

« Je voudrais secourir encore plus de gens dans les pays en voie de développement en leur évitant de perdre la vue. Le meilleur moyen pour y parvenir, c’est de mettre à leur portée le traitement le plus efficace au moindre coût. Je vais donc continuer à améliorer et à diffuser mes techniques chirurgicales. Et je ne me laisserai pas impressionner, quelles que soient les pressions », affirme en conclusion Akahoshi Takayuki, le chirurgien japonais qui fait autorité dans le monde en matière de traitement de la cataracte.

En mars 2017, Akahoshi Takayuki a obtenu le prestigieux prix Kelman (Kelman Award).

(D’après une interview en japonais réalisée par Utsugi Satoshi et mise en ligne le 7 juillet 2017. Photos : Kodera Kei. Photo de titre : Akahoshi Takayuki en salle d’opération, devant son microscope de chirurgie ophtalmique.)

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