Vers une nouvelle ère impériale, vers un nouveau Japon

Tournées en province des deux derniers empereurs : une visite à Okinawa lourde de sens

Politique Société

Durant ses trente années de règne, l’empereur s’est rendu deux fois dans chacune des 47 préfectures du Japon. Outre ses visites dans les zones sinistrées, il a assisté tous les ans à trois grandes fêtes, organisées chaque fois dans une préfecture différente. Parmi celles-ci, Okinawa porte un douloureux passé, car elle a été le théâtre de combats meurtriers qui ont fait 188 000 victimes du côté japonais pendant la guerre du Pacifique. C'est de plus la dernière préfecture que l'empereur Hirohito n'avait pas visitée.

Un automne bien occupé

Pour le dernier automne de l’ère Heisei (1989-2019), six mois avant l’abdication de l’empereur Akihito, le couple impérial a multiplié les déplacements régionaux. Les 14 et 21 septembre, il s'est rendu à Okayama, Ehime et Hiroshima, trois préfectures touchées par des inondations ; il était à Fukui la semaine suivante pour le festival national des sports, à Kôchi en octobre pour le festival des richesses maritimes, et à Hokkaidô en novembre après le séisme qui a frappé la région. Il n’a pas cessé de sillonner le pays.

Voici ce qu’a déclaré le souverain sur l’importance des déplacements en province : « Les voyages que nous avons effectués, l’impératrice et moi-même, depuis l’époque où nous étions couple héritier, nous ont menés dans presque tout le pays ; et partout, nous avons rencontré des gens qui aimaient leur région, qui faisaient tout leur possible au service de la communauté locale. » (Août 2016, message d’annonce de son abdication)

Au cœur de ces déplacements se trouvent les trois grandes fêtes déjà mentionnées, qui sont organisées par chaque préfecture à tour de rôle. À chacune de ces occasions, le couple impérial consacre quelques jours à visiter la région, de précieuses journées pendant lesquelles il va à la rencontre des gens. La popularité du couple impérial n’a d’ailleurs cessé de grandir au fil de ces échanges.

L’empereur et l’impératrice, arrivés le 28 septembre dans la préfecture de Fukui, ont été accueillis à leur hôtel par environ 4 000 habitants tenant des lanternes, auxquels ils ont répondu en brandissant eux-mêmes une lanterne depuis la fenêtre de leur chambre. Le lendemain, sous la pluie, ils ont assisté à la cérémonie d’ouverture de leur dernier festival des sports et salué de la main le défilé des athlètes.

Le 27 octobre, ils entamaient une tournée de trois jours dans la préfecture de Kôchi. Après avoir participé à la cérémonie d’ouverture du festival des richesses maritimes le 28 dans la ville de Kôchi, ils ont assisté à une parade de bateaux de pêche dans le port de Tosa, où ils ont rejeté des alevins à la mer. La participation au festival sportif et à la fête nationale de la végétation fait partie des tâches héritées de son père, l’empereur Hirohito (appelé au Japon l’empereur Shôwa), tandis que le festival des richesses de la mer, créé en 1981 en réaction à la surpêche et à la pollution maritime, a toujours été présidé par le souverain actuel. C’était donc la dernière fois qu’il participait à ces trois grandes fêtes auxquelles le nouvel empereur Naruhito assistera en 2019.

L’empereur et l’impératrice rejettent des alevins à la mer dans le cadre du festival des richesses maritimes, le 28 octobre 2018 à Tosa dans la préfecture de Kôchi. (Jiji Press)
L’empereur et l’impératrice rejettent des alevins à la mer dans le cadre du festival des richesses maritimes, le 28 octobre 2018 à Tosa dans la préfecture de Kôchi. (Jiji Press)

Il y a trente ans, un voile de tristesse

À l’automne 1988, quand l’état de santé de l’empereur Hirohito s’est dégradé, un voile de tristesse a recouvert le Japon. Les fêtes d’automne et festivals des sports ont été annulés en de nombreux endroits, tandis que les chaînes de télévision supprimaient leurs émissions de divertissement et que de nombreux événements étaient suspendus. Le 13 octobre, la première bise d’automne soufflait à Tokyo, annonçant l’hiver.

C’est dans ces conditions que le festival national des sports s’est ouvert le 15 octobre, presque sans aucun changement si ce n’est l’annulation du feu d’artifice. Mais l’Agence de la maison impériale avait dû adopter nombre de mesures sans précédent. Il était déjà prévu que la participation au festival revienne au prince héritier, mais au vu de l’état de santé de l’empereur, il ne pouvait quitter Tokyo. C’est donc le prince Naruhito (l’actuel prince héritier) qui a assisté à la cérémonie, avant de repartir immédiatement pour la capitale.

Hirohito et Okinawa

L’année précédente, en octobre 1987, le festival des sports avait eu lieu à Okinawa, un événement impossible à passer sous silence lorsqu’on évoque les dernières années de l’empereur Hirohito. Son souhait ultime était en effet de se rendre dans cette préfecture, car elle avait été le théâtre de combats meurtriers qui ont fait 188 000 victimes du côté japonais pendant la guerre du Pacifique, et la dernière qu’il n’avait pas encore visitée. L’heure était donc arrivée. Une visite de 5 jours, la plus longue de toutes, était prévue.

En avril 1987, lors de la conférence de presse donnée pour ses 86 ans, le souverain avait déclaré : « Au cours de mes déplacements dans les années 50, j’ai souvent souhaité me rendre à Okinawa. J’aurais ainsi pu me recueillir à la mémoire des victimes de guerre et réconforter les habitants pour les souffrances subies durant de longues années. »

L’empereur Hirohito assiste à la cérémonie célébrant le retour d’Okinawa dans le giron du Japon, en mai 1972 au Budôkan à Tokyo. (Jiji Press)
L’empereur Hirohito assiste à la cérémonie célébrant le retour d’Okinawa dans le giron du Japon, en mai 1972 au Budôkan à Tokyo. (Jiji Press)

Hirohito savait sans doute que, dans la situation complexe où se trouvaient les habitants de l’île, certains étaient opposés à sa visite. Douze ans plus tôt, quand le prince héritier et son épouse (l’actuel couple impérial) s’étaient rendus pour la première fois sur l’île, un groupe extrémiste avait lancé un cocktail molotov dans leur direction. Le souverain souhaitait néanmoins aller se recueillir sur le théâtre des combats et réconforter les habitants qui avaient reconstruit la région, c’était pour lui un « dernier devoir à accomplir ».

Cependant, il dut subir une intervention chirurgicale un mois avant la date prévue pour sa tournée à Okinawa. Lorsque le grand sénéchal de l’Agence de la maison impériale, Tomita Tomihiko, lui annonça que sa visite était annulée, le souverain lui demanda quand il lui serait possible de s’y rendre.

Le prince héritier, qui s’y rendit à sa place, lut un message de l’empereur Hirohito, au Hall de la paix d’Okinawa : « Quand je pense à l’île d’Okinawa qui a été le théâtre de combats, a connu un grand nombre de victimes et a continué à porter un lourd fardeau longtemps encore après la guerre, j’éprouve une tristesse et une douleur profondes. »

Plusieurs élus nationaux refusèrent de venir accueillir le prince héritier et son épouse. Pendant la cérémonie d’ouverture du festival national des sports, un certain nombre de personnes restèrent assises, silencieuses, au moment de chanter l’hymne national et de lever le drapeau. Ce comportement, qu’on ne voyait quasiment plus sur l’archipel principal, souligne la profondeur des blessures de la bataille d’Okinawa. De nombreux habitants auraient aimé entendre l’empereur prononcer son discours en personne, des condoléances qui leur auraient permis de panser leurs plaies.

Le prince héritier lit le discours de l’empereur lors de la cérémonie d’ouverture du festival national des sports, en octobre 1987 à Okinawa. (Jiji Press)
Le prince héritier lit le discours de l’empereur lors de la cérémonie d’ouverture du festival national des sports, en octobre 1987 à Okinawa. (Jiji Press)

Hirohito n’a jamais renoncé à visiter l’île, répétant que « quand il serait guéri, il s’y rendrait le plus tôt possible ». Une visite fut étudiée au printemps 1988, six mois après son opération, mais n’eut pas lieu en raison des difficultés liées à sa santé et à sa sécurité.

Un message à Okinawa

Okinawa occupe tout autant les pensées du souverain actuel, qui s’est rendu onze fois sur l’île. On se souvient qu’il a rappelé à ses enfants  « les  quatre jours à ne jamais oublier » : celui de la fin de la guerre, du bombardement atomique à Hiroshima, puis à Nagasaki, et enfin le jour de la fin de la bataille d’Okinawa (le 23 juin).

Voici ce qu’il a déclaré en 1996, lors d’une conférence de presse : « J’espère que la question d’Okinawa sera suffisamment discutée par les gouvernements américain et japonais, et qu’elle débouchera sur une solution préservant le bonheur des habitants de l’île. » Dans la mesure où l’empereur ne peut se mêler de politique, il s’agit d’une déclaration forte, un appel nominatif aux deux gouvernements qui traduit son souci des habitants d’Okinawa. Cette année-là, après le viol d’une fillette par trois GI américains l’année précédente, un référendum avait été organisé dans la préfecture sur le réaménagement des bases militaires américaines, auquel 89 % des habitants avaient répondu favorablement.

L’empereur a également dit ceci à propos d’Okinawa qui, outre d’importants dommages lors de la guerre, est aussi resté sous administration américaine pendant vingt ans après la fin de l’occupation : « Je pense que connaître en détail l’histoire d’Okinawa est le devoir des habitants de tout le pays, face à ceux de l’île qui ont fait tout leur possible pour retourner dans le giron du Japon. »

Le dernier automne de l’ère Heisei a été marqué par l’élection d’un nouveau gouverneur de la préfecture d’Okinawa. Le problème des bases militaires américaines est toujours au cœur des questions qui secouent l’île qui a tant occupé les pensées de deux empereurs successifs. (Voir notre article lié)

(Photo de titre : l’empereur et l’impératrice assistent au dernier festival national des sports de leur règne, le 29 septembre 2018 à Fukui. Jiji Press)

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