Cinq ans après le grand séisme de l’est du Japon
Après le tsunami, la reconstruction vécue par un Anglais
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Ishinomaki, la deuxième plus grande ville de la préfecture de Miyagi a été l’une des municipalités les plus durement touchées par le tsunami de mars 2011. Mais elle a également été une des villes les plus résistantes à la suite du désastre, grâce en grande partie au dévouement infatiguable de ses résidents, comme le citoyen britannique Richard Halberstadt, directeur de l’Ishinomaki Community & Info Center.
Situé à environ 7 minutes à pied de la gare Ishinomaki, l’ICIC a été établi en 2015 pour informer et sensibiliser les visiteurs venus de près ou de loin sur le tsunami et les progrès de la reconstruction « post-désastre ». Par le biais d’une documentation, d’expositions et d’explications en japonais et en anglais, le centre aide à diffuser les informations sur Ishinomaki et à partager d’importantes leçons en matière de préparations des urgences. Environ 18 000 personnes ont visité le centre durant l'année 2015.
Faire passer le message
Pour mettre en œuvre ses fonctions, l’ICIC ne dispose que d’un personnel de trois personnes, dont le directeur. Richard a été choisi pour ce rôle en reconnaissance de ses capacités de communication bilingue et de sa contribution à la communauté avant et après le séisme.
« Je ne suis pas un leader de nature, nous dit-il, mais un de mes amis m’a dit que c’était quelque chose que je pouvais faire pour Ishinomaki : servir comme une sorte d’amplificateur international pour la ville et s’assurer que les soutiens continuent à y affluer. »
Comme beaucoup de survivants du tsunami, Richard a commencé à reconsidérer son but dans la vie après le désastre.
« J’ai été épargné alors que mes amis ont péri et j’ai commencé à comprendre que j’avais le devoir de vivre en leur nom. Lorsque l’ICIC a ouvert, j’ai senti que c’était là mon objectif. Je peux transmettre le message et dire à tous que Ishinomaki est une communauté exceptionnelle, et le fait d’être bilingue m’aide à intervenir auprès d’un plus large public. Des gens du monde entier viennent ici pour voir ce qui se passe dans cette zone dévastée et pour apprendre du désastre. Lorsque quelqu’un me dit combien il lui a été utile d’entendre des explications cohérentes en anglais, je sens que ce que je fais est valable. »
De « gaijin » à pilier de la communauté
Richard Halberstadt est tout d’abord venu au Japon dans les années 1980, peu de temps après avoir terminé ses études au collège, pour enseigner l’anglais dans un lycée de la ville de Tsuruoka, dans la préfecture de Yamagata. Lorsqu’il retourne en Angleterre deux ans plus tard, il est devenu un japonophile convaincu. Après avoir obtenu sa maîtrise, il accepte un poste de professeur à l’Université Ishinomaki Senshû en 1993.
Au début, comme il l’avoue lui-même, Richard se sent un peu comme un poisson hors de l’eau. Mais tout change très vite. La communauté lance à ce moment-là une campagne touristique basée sur une réplique du San Juan Bautista, navire de haute mer japonais construit dans un style européen en 1613 et conçu à l’image d’un galion espagnol. Commandé par le daimyô de Sendai, le San Juan Bautista a fait traverser le Pacifique à la célèbre ambassade Keichô dans son voyage vers le Vatican. La Jeune Chambre Internationale d’Ishinomaki a pris part à la campagne en réalisant une production théâtrale mettant en scène l’histoire de la construction des navires au Japon. Pressenti pour jouer le rôle de l’Européen venu au Japon pour enseigner les méthodes occidentales de construction navale, le jeune Anglais s’est dit : « S’ils ont besoin de moi, pourquoi pas ? »
Par le biais de son intervention dans la production, Richard a vite commencé à connaître de jeunes hommes d’affaires et le cercle de ses connaissances s’est rapidement agrandi. Il est devenu lui-même un membre actif de la JC locale.
En 2003, il obtient son visa de résident permanent. À ce moment-là, son tempérament aimable et naturel a gagné les cœurs de la population locale. Les habitants ne le traitent plus en gaijin (étranger) mais comme l’un d’entre eux – comme Richard. Il assiste à leurs fêtes et à leurs mariages. Il aide même des amis et des voisins lors de funérailles. Il est devenu membre à part entière de la communauté.
Retour sur les lieux du désastre
Richard Halberstadt était dans le bureau de son école lorsque le Grand tremblement de terre de l’Est du Japon survient à 14 h 46 le 11 mars 2011. La secousse, enregistrée à 6+ sur l’échelle d’intensité sismique de shindo, s’est poursuivie pendant cinq minutes terrifiantes. Situé à l’intérieur des terres, le campus a échappé aux dommages du tsunami mais Richard et ses collègues y sont restés bloqués pendant trois jours entiers, dépendant de la radio pour avoir des informations.
Avec de plus en plus de personnes évacuées venues se réfugier sur le campus, il réalise que la situation en ville est catastrophique. Mais ce n’est pas avant le 14 qu’il revient dans la ville anéantie par le tsunami pour découvrir lui-même l’ampleur du désastre. « C’est donc ça une catastrophe », pense-t-il. Cette nuit-là il trouve refuge dans un hôtel qui servait alors d’abri d’urgence et tenu par un de ses amis. C’est alors qu’il apprend que toute la famille d’un de ses amis les plus proches a péri dans le tsunami.
Impact du désastre de 2011 à Ishinomaki
Intensité du tremblement de terre | 6+ (échelle de shindo) |
Hauteur du tsunami | 8,6 mètres (données officielles de JAM)* |
Superficie inondée | 73 km2 (13 % de la zone des terrains urbains ; 30 % des zones de basses terres avec construction dense)* |
Morts | 3 178 |
Disparus | 422 |
Bâtiments touchés | Détruits 20 039 Partiellement détruits 13 047 Endommagés 23 615 Total 56 701 |
Personnes déplacées | Jusqu’à 50 758 |
* Le niveau de l’eau a atteint plus de 20 mètres dans certaines parties de la ville. – NDLR
Source : Gouvernement municipal de Ishinomaki, janvier 2016
Richard possède toujours l’e-mail que l’ambassade de Grande Bretagne lui a envoyé sur son téléphone portable le 17 mars. Imaginant le pire des scénarios à la Centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, l’ambassade a contacté les citoyens britanniques dans le Japon de l’Est – y compris la région de Tokyo – pour leur conseiller de quitter le Japon afin d’éviter d’être exposés aux radiations. Le 19 mars, un véhicule de l’ambassade vient chercher Richard et l’emmener à Sendai pour le préparer à être rapatrié. Mais à peine arrivé à Sendai, il réalise qu’il a commis une erreur. Il reste éveillé toute la nuit à réfléchir et décide de revenir à Ishinomaki.
« Certains de mes amis me pressaient de retourner en Angleterre », se rappelle-t-il. « Ils me disaient “c’est ton devoir de revenir ici et de collecter des fournitures d’urgence et des dons pour Ishinomaki”, mais je savais que je ne me serai jamais pardonné d’avoir abandonné mes amis dans leur détresse. Je venais de leur dire au revoir en pleurant et j’étais arrivé jusqu’à Sendai mais à la fin, le désir de revenir et d’aider à reconstruire a été le plus fort. La nuit après mon retour à Ishinomaki, le 20 mars, j’ai dormi profondément pour la première fois depuis le tremblement de terre. Je pense que c’était le soulagement d’avoir pris la bonne décision. »
Des progrès inégaux
Nous sommes en 2016. Dans le centre d’Ishinomaki, les cicatrices du tsunami ont disparu. Il y a beaucoup de bruits. Ceux de la reconstruction, avec le développement de centres commerciaux et de logements publics. L’hôpital municipal d’Ishinomaki qui avait été détruit sans espoir de réparation, est en cours de reconstruction à proximité de la gare d’Ishinomaki, à une bonne distance de la côte.
L’industrie de la pêche, la plus importante pour la ville, est elle aussi de retour. En 2015, les débarquements commerciaux ont été évalués à 18 milliards de yens, un chiffre pratiquement identique à celui de 2010, bien que leur poids soit encore inférieur d’environ 20 % aux niveaux d’avant le séisme. Le marché aux poissons d’Ishinomaki – le côté public de l’industrie de la pêche de la ville – a été reconstruit et a repris enfin pleinement toutes ses opérations en septembre 2015.
Mais les districts voisins durement touchés de Minamihama et Kadonowaki, à proximité du fleuve Kitakami montrent un tout autre tableau. Si les débris ont été évacués, la construction de nouvelles résidences est interdite et la majeure partie de cette zone reste un désert aride. En janvier 2015, environ 16 000 résidents d’Ishinomaki vivaient encore dans des logements provisoires, par rapport aux 32 000 personnes au pire moment de la crise. Seulement 60 % environ des 200 installations de traitement des produits de la mer qui étaient en opération dans la ville avant le désastre ont réouvert leurs portes. Selon les estimations préliminaires du dernier recensement, la population de la ville en 2015 était de 147 236 personnes, soit 8,5 % de moins qu’en 2010.
Les gens qui viennent à l’ICIC demandent souvent comment se passe la reconstruction. « C’est une question à laquelle il est difficile de répondre », déclare Richard. La ville d’Ishinomaki s’étend sur une vaste superficie et les progrès n’ont pas été uniformes.
« Même si le centre de la ville a été vraiment dévasté, il a conservé une certaine ressemblance avec ce qu’il était à l’origine. Mais le district d’Ogatsu dans le nord-est a été complètement oblitéré, et ils ont dû tout recommencer à zéro. Chaque zone a ses propres défis à relever. »
Le rythme de la reconstruction est évalué différemment selon les perspectives de chacun. « Si vous regardez juste tous les logements de remplacement en train de se construire, vous pouvez penser que la reconstruction est en bonne voie. Mais si vous pensez à la frustration et à l’anxiété des gens qui habitent encore dans des logements provisoires en préfabriqué depuis 2011, vous pouvez certainement comprendre leur impatience par rapport au rythme de la reconstruction. »
La disparition des liens de la communauté constitue un autre grave problème. « Les gens vivant dans des complexes de logements provisoires forment progressivement leurs propres communautés là-bas », continue-t-il. « Lorsqu’ils emménagent dans des logements de remplacement, ils doivent tout recommencer. Comme beaucoup d’entre eux sont des personnes âgées vivant seules, ça peut être vraiment dur pour eux. »
L’appel d’Ishinomaki : ne nous oubliez pas !
Richard Halberstadt, bien sûr, est plein d’espoir pour le futur de sa ville d’adoption. « La forme de la ville a été fondamentalement modifiée par le tremblement de terre et le tsunami. Tout ce que nous pouvons faire maintenant, c’est de tirer le meilleur parti de cette situation en dirigeant le processus de redéveloppement dans une direction positive. C’est l’occasion de redynamiser et de repeupler une ville qui était en déclin. » Il est encouragé par les jeunes qui sont venus à Ishinomaki après y avoir passé un certain temps comme bénévoles et les organisations à but non lucratif qui ont lancé, de leurs sièges, des projets de construction de communauté dans des voisinages auparavant abandonnés. « Nous commençons à voir des jeunes gens marcher dans la ville. Ils peuvent apporter une différence considérable en termes de revitalisation de la communauté. »
Les étapes importantes de la reconstruction à Ishinomaki
2011 | 11 mars | Grand tremblement de terre de l’Est du Japon. Le tsunami inonde la majeure partie de la ville, provoquant des dégâts et des destructions considérables. |
21 avril | Réouverture des écoles élémentaires et des collèges (partage des installations dans de nombreux cas). | |
26 avril | Premier complexe de logements provisoires terminé. | |
19 mai | Reprise du service sur certaines sections de la ligne JR Ishinomaki | |
1er août | Les Forces d’auto-défense terminent leurs opérations de secours. | |
16 septembre | L’usine d’Ishinomaki de Nippon Paper reprend partiellement ses activités. | |
12 octobre | Les derniers abris d’urgence de la ville sont fermés. | |
Décembre | Le plan de base pour la reconstruction d’Ishinomaki est adopté. | |
2012 | 17 mars | Remise en service des trains entre Sendai et Ishinomaki |
20 juillet | Shin-Hebita est le premier district de la région sinistrée par le séisme autorisé à la restructuration de l’occupation des sols et du développement urbain conformément à l’Acte sur les Zones spéciales pour la reconstruction. | |
27 novembre | Le Musée du manga Ishinomori, une des principales attractions touristiques locales, est réouvert. | |
2013 | 1er avril | Les résidents commencent à emménager dans les premiers logements publics construits pour fournir des résidences permanentes aux personnes déplacées. |
Juillet | La plage de Shirahama sur l’île Ajishima est réouverte. | |
Août | La reconstruction du marché aux poissons d’Ishinomaki commence. | |
2014 | Janvier | L’incinération des débris du désastre est terminée. |
27 mai | Les résidents emménagent dans les logements de Kamayazaki lors de la première réinstallation de masse d’une communauté résidentielle. | |
2015 | Mai | Début du service sur la nouvelle ligne JR Senseki-Tôhoku |
Septembre | Le marché aux poissons d’Ishinomaki reprend totalement ses opérations. |
Richard décrit les cinq dernières années comme une période d’efforts fébriles pour soutenir une tâche monumentale qui est loin d’être finie. Mais la presse et le public ont progressivement perdu intérêt dans la détresse de ces communautés frappées par le désastre. Il y a eu une baisse conséquente du nombre de visiteurs à Ishinomaki durant les deux dernières années.
En outre, alors qu’il y a de plus en plus de touristes étrangers visitant le Japon, très peu d’entre eux choisissent la région du Tôhoku comme destination, à la grande consternation des industries locales du tourisme et de l’hospitalité. « Nous n’avons absolument aucun problème pour héberger des touristes », insiste le propriétaire d’un restaurant proche. « Je crains que les gens ne se fassent de fausses idées sur la région et c’est vraiment dommage. »
La ville n’est plus en ruines aujourd’hui. Les débris sont partis. La demande en bénévoles a considérablement diminué. « Mais nous avons encore besoin d’être aidés, même si c’est juste sous la forme de touristes venus acheter nos produits et soutenir notre économie », dit Richard Halberstadt. « Je dis à tous ceux qui passent par ici “Ne nous oubliez pas. Revenez nous voir.” Si les gens repartent chez eux avec des souvenirs d’Ishinomaki et une meilleure connaissance des préparatifs en cas de désastre, alors j’ai le sentiment d’avoir fait mon boulot. »
(D’après un reportage réalisé par Ishii Masato, Nippon.com. Photo de titre : Richard Halberstadt à l’Ishinomaki Community & Info Center, le 5 février 2016.)▼A lire aussi
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