Les conséquences de la catastrophe nucléaire de Fukushima
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A l’heure actuelle, les Japonais sont encore confrontés aux conséquences de la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi provoquée par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011. Et les habitants du département de Fukushima vivent toujours dans l’angoisse. Le 11 et le 12 septembre 2011, un colloque international sur « Les effets des radiations nucléaires sur la santé » a eu lieu à la Faculté de médecine de Fukushima. Il a réuni des spécialistes non seulement du Japon mais aussi du monde entier qui se sont penchés sur les conséquences sanitaires de ce désastre. Après les discours d’ouverture et la présentation du programme par Akashi Makoto de l’Institut national des sciences radiologiques du Japon et Abel Julio Gonzáles, de la Commission internationale pour la protection radiologique, une quarantaine d’experts ont participé aux six séances que comportait le colloque.
Des débats ouverts au public
Contrairement à ce qui se passe le plus souvent dans ce genre de manifestation, le colloque de la Faculté de médecine de Fukushima était ouvert au public et aux medias, et il a été diffusé en direct sur Internet. Sasakawa Yôhei, président de la Nippon Foundation, a été le premier à prendre la parole et il a expliqué pourquoi le colloque se déroulait à Fukushima. « Nous voulions faire quelque chose, si peu que ce soit, pour apaiser les souffrances et les angoisses des habitants de Fukushima. »
Avant de passer en revue les nombreux points forts du colloque, rappelons pour mémoire ce qui s’est passé exactement à Fukushima.
Le 11 mars 2011, à 14 heures 46, un séisme géant de magnitude 9 sur l’échelle de Richter a frappé le nord-est du Japon. Peu après, un énorme tsunami a déferlé sur la région du Tôhoku où il a ravagé une grande partie du littoral, du côté du Pacifique. Par mesure de sécurité, les réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi ont été arrêtés dès que la terre a commencé à trembler. Mais le tsunami a détruit le système d’alimentation en électricité des réacteurs 1 et 4, ce qui a provoqué l’arrêt des circuits de refroidissement et, par voie de conséquence, une surchauffe des réacteurs. Dans l’après-midi du 12 mars 2011, une explosion due à une accumulation d’hydrogène a eu lieu dans l’enveloppe du réacteur 1. Deux jours plus tard, une autre déflagration s’est produite dans le réacteur 3. Le 15 mars, on a entendu des bruits d’explosion à proximité du réacteur 2. Le même jour, des explosions d’hydrogène se sont produites dans l’enveloppe du réacteur 4, qui était à l’arrêt pour entretien, quand le système de refroidissement de la piscine contenant le combustible usé s’est arrêté.
Les riverains de la centrale ont reçu l’ordre d’évacuer les lieux dans la nuit du 11 mars. La zone concernée s’étendait sur un rayon de 3 kilomètres autour de la centrale et au moment de l’explosion d’hydrogène du réacteur 1, les opérations d’évacuation étaient terminées. Le 12 mars au matin, cette zone a été étendue par les autorités à 10 kilomètres autour de la centrale, avant d’être portée à 20 kilomètres le soir même. Quand le vent a commencé à disperser les matières radioactives, des gens vivant dans d’autres régions ont quitté leur domicile de leur propre chef. La décontamination de la vaste portion de territoire où il y a eu des retombées radioactives est en cours, mais il reste encore beaucoup à faire.
Exposition et contamination à Fukushima
La première séance du colloque de Fukushima avait pour thème « Ce qui s’est passé à Fukushima », et elle était coprésidée par Takenoshita Seiichi de la Faculté de médecine de Fukushima et Maekawa Kazuhiko de l’Université de Tokyo (Tôdai). Elle a retracé les événements qui se sont produits à Fukushima à partir du 11 mars 2011. Trois intervenants se sont succédés à la tribune à savoir Honma Toshimitsu, directeur du Centre de recherche en sûreté nucléaire à l’Agence japonaise de l’énergie atomique, Kamiya Kenji de l’Université de Hiroshima, et Sakai Kazuo de l’Institut national des sciences radiologiques du Japon.
Dans son exposé intitulé « Contamination radioactive de l’environnement et degré d’irradiation des populations », Honma Toshimitsu a indiqué que les émissions radioactives dans l’atmosphère des réacteurs 1 à 3 avaient pour l’essentiel eu lieu entre le 12 et le 22 mars. Elles se composaient principalement d’iode 131 (1,6 x 1017 becquerels) et de césium 137 (1,5 x 1016 becquerels). Ces émissions ont pris la forme d’un « panache radioactif » constitué de gaz rares et de particules volatiles radioactifs. La catastrophe nucléaire de Tchernobyl, qui a eu lieu en 1986, avait commencé par une explosion suivie d’un incendie ayant entrainé la fusion du cœur du réacteur. Honma Toshimitsu a expliqué que les matières radioactives rejetées à l’époque dans l’atmosphère étaient sensiblement différentes de celles de la catastrophe de Fukushima.
Fukushima a été contaminé entre le 15 et le 16 mars 2011. Les matières radioactives rejetées dans l’atmosphère ont été transportées par le vent en direction du nord-est, puis se sont déposées sur le sol avec la pluie, et c’est alors qu’elles ont gravement contaminé l’intérieur des terres. Un autre panache radioactif s’est dirigé en direction du sud, vers la région du Kantô. D’après Honma Toshimitsu, il a touché non seulement les départements de Ibaraki et de Tochigi, mais aussi — beaucoup plus loin — ceux de Kanagawa et même de Shizuoka où il a contaminé les récoltes de thé. Plusieurs études ont mis en évidence des cas de contamination de l’eau et des aliments, ce qui a contraint le Ministère de la santé, du travail et de l’aide sociale, les autorités du département de Fukushima et certaines branches d’activités à prendre des mesures de restriction concernant la mise sur le marché et la consommation de différentes denrées.
Honma Toshimitsu considère qu’il faut classer les personnes exposées aux radiations en trois groupes suivant qu’elles habitaient dans un rayon de 3, 10 ou 20 kilomètres autour de la centrale de Fukushima. D’après lui, plus les mesures d’évacuation sont rapides, moins les risques sont importants en matière de santé. Dans la mesure où l’évacuation du groupe le plus proche de la centrale a eu lieu avant les explosions d’hydrogène, l’exposition directe de cette partie de la population a été limitée. Et en ce qui concerne les deux autres groupes, les restrictions en matière de consommation d’eau potable ont dû aussi contribuer à réduire les risques d’exposition interne aux radiations.
Une fausse rumeur concernant l’exposition interne aux radiations
L’intervention de Sakai Kazuo, la troisième de la première session, portait sur l’exposition interne aux radiations. M. Sakai, qui est directeur du Centre de recherches pour la protection contre les radiations à l’Institut japonais des sciences radiologiques, a rappelé que les premiers rapports rédigés après la catastrophe de Fukushima se sont contentés de dire que l’exposition aux radiations était dangereuse sans préciser à quelles doses.
Il a expliqué qu’une partie des habitants de la zone contaminée sont persuadés que l’exposition interne est beaucoup plus dangereuse que l’exposition externe, alors que le risque est identique pour les deux quand les radiations atteignent « la dose effective ». Malheureusement, ce type de fausse rumeur a tendance à se répandre rapidement. L’Institut japonais des sciences radiologiques a même reçu des rapports inquiétants de médecins qui recommandaient aux femmes enceintes craignant d’avoir été exposées de se faire avorter. En conclusion, Sakai Kazuo a recommandé aux spécialistes de la recherche et de la protection en matière de radioactivité de fournir à la population des informations précises et exactes sur l’exposition interne aux radiations.
L’exposition aux radiations n’est pas forcément dangereuse
La deuxième séance du colloque de Fukushima s’est déroulée dans l’après-midi du 11 septembre. Elle avait pour thème « Santé et irradiation à faible dose, un défi pour la médecine d’urgence ». Des chercheurs travaillant dans des universités américaines et allemandes ont discuté des effets et des défis posés par le traitement en urgence des irradiations à faibles doses.
John Boice, de l’Institut international d’épidémiologie (IEI), a donné une conférence intitulée « Epidémiologie de l’irradiation dans la perspective de Fukushima ». Il a notamment expliqué que l’exposition ne donne pas à elle seule la mesure du danger des radiations. Il faut aussi tenir compte des doses. Nous sommes soumis quotidiennement à des radiations à faibles doses dues, entre autres, à des examens médicaux sous formes de radiographies ou à des radiations naturelles en provenance de l’espace ou du sol. Les chercheurs ont établi un seuil limite d’exposition annuel qui est de vingt millisieverts au Japon (le millisievert est le millième du sievert, l’unité de mesure de la dose de rayonnement absorbée par le corps).
D’après John Boice, s’il est indéniable que l’exposition aux radiations peut provoquer des cancers, l’évaluation des risques posés par l’exposition à faible dose demeure un véritable casse-tête pour les spécialistes de la radioépidémiologie. Le chercheur américain a toutefois voulu se montrer rassurant en rappelant que contrairement à Tchernobyl, on n’a pas observé de syndrome d’irradiation aigue à Fukushima.
Qui plus est, le seul effet sur la santé scientifiquement reconnu de la catastrophe de Tchernobyl est le cancer de la thyroïde chez les enfants. Quand on a évalué les doses auxquelles les habitants de Fukushima ont été soumis, on s’est aperçu que, dans leur cas, l’exposition interne à des rayonnements ionisants carcinogènes a été extrêmement limitée. John Boice a conseillé de procéder à une étude épidémiologique non seulement pour la santé des populations, mais aussi pour les rassurer. Il pense que les doses estimées sont si faibles qu’il n’y a pratiquement aucune chance pour qu’une exposition chronique puisse poser des risques sanitaires sérieux.
La gestion d’une contamination à faible dose
La troisième séance du colloque de Fukushima a été divisée en deux parties. La première avait pour thème « Dose, dosimétrie et évaluation des doses de radiations des zones contaminées ». Bruce Napier, du Laboratoire national américain du Nord-Ouest du Pacifique, a parlé du traitement des déchets radioactifs. Les déchets hautement radioactifs doivent être traités avec le plus grand soin. En effet, si le niveau des doses pour une contamination à faible dose est relativement peu élevé, le volume des déchets est souvent énorme. La gestion des déchets faiblement radioactifs doit se faire avec l’accord de la population et donner lieu à un long et difficile débat national qui ne fait que commencer.
La seconde partie de la troisième séance du colloque de Fukushima était consacrée à « La radiobiologie et la radioépidémiologie ». Niwa Ôtsura, de l’Université de Kyoto, a évoqué les risques médicaux posés par l’exposition aux radiations. Il pense que les médecins doivent se fonder à la fois sur les facteurs individuels de risques du patient et sur les statistiques pour donner leur avis.
Les conséquences psychologiques d’un accident nucléaire
Le 12 septembre, le deuxième jour du colloque de Fukushima, a commencé avec la quatrième séance où il a été question des « Leçons de l’accident nucléaire de Tchernobyl ».
Dans son intervention, Evelyn J. Bromet de l’Université Stony Brook, aux Etats-Unis, a parlé des « Conséquences de l’accident nucléaire de Tchernobyl sur la santé mentale ». Après les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl, quantité d’habitants des régions touchées ont présenté des symptômes de dépression, d’angoisse et de troubles de stress post traumatique. Ces personnes étaient inquiètes pour leur santé et celle de leur entourage immédiat, ainsi que pour leur avenir et leur place dans la société. Les habitants de la région de Fukushima devraient, selon toute vraisemblance, être victimes des mêmes effets psychologiques. Evelyn J. Bromet a demandé à ce que l’on accorde autant d’importance aux conséquences psychiques et physiques de la catastrophe de Fukushima.
La cinquième séance a été consacrée à des exposés sur « La sécurité en matière de radiations et les principes directeurs d’une politique de risques sanitaires ». La sixième et dernière séance du colloque de Fukushima a été coprésidée par Abel Julio González de la Commission internationale pour la protection radiologique et Yamashita Shunichi de la Faculté de médecine de Fukushima. Lee Jaiki de l’Université Hangyang, en Corée du Sud, a parlé de la façon dont son pays a réagi à la catastrophe de Fukushima. Wolfgang Weiss de l’Office fédéral allemand pour la protection contre les radiations a évoqué, quant à lui, les activités du Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). Le UNSCEAR a l’intention de publier un rapport préliminaire sur l’exposition et les conséquences des radiations de la catastrophe de Fukushima en 2012, qui sera suivi d’un rapport final en 2013.
Les leçons de la catastrophe de Fukushima
Après les exposés des différents intervenants et les débats auxquels ils ont donné lieu, un rapport contenant les conclusions et les recommandations du colloque de Fukushima a été rédigé. En général, les conférenciers donnent le contenu de leur intervention avant les colloques internationaux, mais dans le cas de Fukushima, c’est le contraire qui s’est produit dans la mesure où le rapport final est fondé sur les débats qui ont eu lieu pendant le colloque.
En premier lieu, le rapport constate que l’évacuation des habitants, le confinement des populations à leur domicile pour éviter au maximum l’exposition aux radiations et l’application des règles de sécurité concernant l’alimentation se sont déroulés correctement et que les conséquences directes de l’accident nucléaire sur la santé de la population ont été bien moindres qu’à Tchernobyl. Mais il n’en reste pas moins que Fukushima a été victime d’une catastrophe épouvantable. Les rédacteurs du rapport pensent qu’il faut absolument continuer à surveiller le niveau de contamination de l’environnement pour assurer la sécurité des habitants de Fukushima.
En second lieu, le rapport recommande une surveillance sanitaire continue. Le gouvernement japonais a déjà commencé une étude pour évaluer les doses d’exposition externe auxquelles ont été soumis les individus et il a lancé un programme d’échographies de la thyroïde pour tous les résidents de Fukushima.
En troisième et dernier lieu, le rapport demande à ce que le gouvernement japonais et les organisations internationales tirent pleinement parti des leçons de la catastrophe de Fukushima et continuent à coopérer de façon efficace sur le long terme.
Souhaitons que les résultats de ce colloque contribuent à permettre à toute la population de Fukushima de prendre un nouveau départ.
(D’après un compte rendu en japonais de Hayashi Aiko)
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