Créateur de théières en fonte depuis trois siècles
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La cérémonie du thé : une tradition séculaire
La cérémonie du thé (cha no yu ou sadô) est plus que jamais à l’ordre du jour, y compris en dehors du Japon. À preuve le film Demande à Rikyu du cinéaste Tanaka Mitsutoshi, qui a obtenu le Prix de la meilleure contribution artistique au Festival des films du monde de Montréal, en septembre 2013. Ce long métrage tiré du roman éponyme(*1) de Yamamoto Kenichi relate la vie du grand maître de l’art du thé et de l’esthétique japonaise Sen no Rikyû (1522-1592).
L’art du thé ne se limite pas à la préparation codifiée d’une boisson. Il implique aussi un environnement esthétique particulier et un certain nombre d’objets et d’ustensiles, à commencer par les bouilloires en fonte (kama) où l’on fait chauffer l’eau. Les kama pour le thé ont fait leur apparition au début de l’époque d’Edo (1603-1868). La maison Okamaya qui se trouve à Morioka, dans la préfecture d’Iwate, au nord-est de l’Archipel, a été fondée en 1659 et elle s’est spécialisée dans la fabrication de bouilloires en fonte puis de théières en fonte (tetsubin).
Koizumi Nizaemon, le maître fondeur qui est à présent à la tête d’Okamaya, nous a reçu chez lui, à une vingtaine de minutes à pied de la gare de la ville de Morioka. Une enseigne calligraphiée avec les trois idéogrammes qui composent le nom de l’entreprise, Okamaya, orne l’entrée de sa demeure. L’atelier se trouve un peu plus loin, à environ vingt minutes en voiture. C’est là que Koizumi Nizaemon exerce son activité en compagnie de son fils Koizumi Takehiro.
L’histoire des théières en fonte de Nanbu
Les bouilloires et les théières japonaises en fonte sont souvent appelées Nanbu kama et Nanbu tetsubin parce qu’elles proviennent pour la plupart de la préfecture d’Iwate, autrement dit de l’ancien fief de Nanbu (ou fief de Morioka) de l’époque d’Edo.
Koizumi Nizaemon qui, à 78 ans, dirige encore l’entreprise familiale, nous a donné des précisions sur les origines de la production d’objets en fonte pour le thé dans la région.
« Tout a commencé en 1659, au début de l’époque d’Edo, quand Nanbu Shigenao (1606-1664), le daimyô du fief de Nanbu, a demandé à Koizumi Goroshichi Kiyoyuki, un maître fondeur de Kyoto, de venir s’installer sur place pour y exercer son art. À l’époque, on exploitait les richesses minières de la région, notamment le fer, et Nanbu Shigenao était un fervent adepte de la cérémonie du thé. C’est ainsi que sont nées les premières Nanbu kama. La fabrication de Nanbu tetsubin a débuté un siècle plus tard, vers 1750, quand le troisième descendant du fondateur de la maison Okamaya a eu l’idée de créer un récipient en fonte doté d’une anse et d’un bec verseur. »
Trois autres familles répondant respectivement au nom de Arisaka, Suzuki et Fujita se sont elles aussi lancées dans la production d’objets en fonte sous l’égide des daimyô du fief de Nanbu, mais ce sont les Koizumi qui ont joué le rôle le plus important dans l’histoire des théières en fonte de Nanbu.
À partir de l’ère Meiji (1868-1912), les objets en fonte de Nanbu, et en particulier les théières, ont connu un succès grandissant non seulement au Japon mais aussi à l’étranger où ils ont été présentés au public notamment lors des expositions universelles de la fin du XIXe et du début du XXe siècles. La Seconde Guerre mondiale s’est toutefois avérée catastrophique pour cette branche d’activité, la fabrication de produits en fonte ayant été interdite dans l’Archipel, à l’exception des fournitures pour l’armée. Sur les quelque cent cinquante artisans qui travaillaient dans ce secteur dans la préfecture d’Iwate, seuls seize ont pu continuer à exercer leur métier durant cette période. Après la guerre, la production de théières en fonte a repris, comme précédemment, mais dans les années 1960, l’adoption par les ménagères japonaises du gaz propane et des ustensiles de cuisine en aluminium a fait disparaître les objets en fonte de bien des foyers.
Depuis quelque temps, la tendance s’est heureusement inversée et les théières en fonte sont revenues au goût du jour. Les Japonais ont pris à nouveau conscience des mérites des ustensiles en fonte, non seulement dans le cadre de la cérémonie du thé et d’autres arts traditionnels, mais aussi dans la vie quotidienne et en particulier la cuisine. Par ailleurs, les qualités esthétiques des théières en fonte de l’Archipel ont séduit de nombreux Occidentaux au point que certains fabricants en ont profité pour augmenter leurs exportations vers l’Europe et les États-Unis.
Les mérites des théières en fonte
Koizumi Nizaemon est convaincu des mérites de l’utilisation des théières et des bouilloires en fonte.
« D’abord, employer un ustensile en fonte pour faire du thé a un effet bénéfique sur la santé. À l’heure actuelle, un Japonais sur cinq est anémique ou en passe de le devenir. Or des recherches ont montré que l’eau chauffée dans un récipient en fonte est riche en fer. Ensuite, cette eau a bon goût et elle permet de faire du thé noir, du café ou de la cuisine d’une excellente qualité gustative. Enfin, il y a le plaisir esthétique que procurent les théières ou les bouilloires en fonte quand on les regarde. Ces objets sont porteurs de valeurs qui constituent l’essence — l’ADN — même de l’esthétique traditionnelle japonaise, à commencer par les notions de wabi (tranquillité, solitude, simplicité) et de sabi (sobriété, rusticité, sérénité). Utiliser une bouilloire ou une théière en fonte, c’est aussi une façon d’apaiser son esprit. »
Une capacité de production forcément limitée
En ce moment, la maison Okamaya a dû mal à répondre à la demande, surtout en raison de l’engouement que ses produits ont suscité en Chine. Pendant les six premiers mois qui ont suivi le terrible séisme du 11 mars 2011, elle n’a enregistré pratiquement aucune commande mais ensuite, quatre ou cinq entreprises chinoises lui ont commandé entre cinq et dix théières par mois par l’intermédiaire d’une société de commerce japonaise. Koizumi Nizaemon a été obligé de refuser cette offre car les quantités demandées dépassaient largement sa capacité de production.
Le personnel de la maison Okamaya se limite en effet à Koizumi Nizaemon et son fils qui assument à eux seuls toute la production. Fabriquer une théière en fonte est un processus de longue haleine qui comporte plus de cent opérations délicates et il est difficile de travailler en même temps sur plusieurs objets. C’est pourquoi la production est forcément limitée.
Quand un client contacte la maison Okamaya par Internet ou par téléphone, il reçoit en général un catalogue. Si l’objet qu’il souhaite acquérir n’est pas disponible, il devra attendre environ un mois pour que sa commande soit honorée. Mais dans certains cas, il faut compter un délai de six mois à un an pour obtenir gain de cause. Les théières en fonte de la maison Okamaya coûtent entre 50 000 yens (375 euros) et 300 000 yens (2 254 euros). Outre des théières et des bouilloires, l’entreprise fabrique aussi d’autres objets en fonte, entre autres des vases, des cendriers et divers ustensiles de cuisine.
L’avenir des maîtres fondeurs de Nanbu
D’après le Bureau de l’économie, du commerce et de l’industrie du Tôhoku, la préfecture d’Iwate compte à l’heure actuelle soixante-quatorze entreprises — Okamaya y compris — qui sont spécialisées dans la production d’objets en fonte et ont toutes le label Nanbu Tekki (Ustensiles en fonte de Nanbu). Elles emploient au total quelque sept cent trente personnes et leur production annuelle est estimée à quelque 9,2 milliards de yens.
L’artisanat traditionnel du Japon suscite un intérêt de plus en plus grand à l’étranger tant et si bien que la maison Okamaya reçoit des mails du monde entier, y compris de France. Mais jusqu’à présent, elle n’est en mesure de répondre qu’aux commandes en anglais. Et en dépit de l’attention dont elle fait l’objet un peu partout dans le monde, elle reste concentrée sur sa région d’origine. Koizumi Nizaemon s’efforce de préparer une nouvelle génération d’artisans capables de continuer l’activité traditionnelle dans laquelle il est engagé. Il faut théoriquement dix ans pour former un fondeur expérimenté mais il espère que les choses iront plus vite.
En dépit de ses 78 ans, le maître fondeur Koizumi Nizaemon continue à assurer la fabrication des objets en fonte que vend son entreprise avec l’aide de son fils et il entend continuer à le faire jusqu’à la fin de sa vie. Il accueille volontiers des élèves des écoles, des collèges et des lycées de la région ou de Tokyo qui sont intéressés par son art et il en profite toujours pour insister sur l’importance de continuer à faire vivre cette tradition dans l’avenir.
Informations sur l’entreprise
Nom de la société : Okamaya
Adresse : 11-18 Kiyomizu-cho, Morioka, Iwate Prefecture 020-0875
Représentant : Koizumi Nizaemon
Activité : Fabrication et vente des objets en fonte
Site internet (japonais) : http://www.nanbutetsubin.com
Reportage et photographies de Harada Kazuyoshi (nippon.com)
(*1) ^ « Le Secret du maître de thé », traduction en français, Mercure de France, 2012, Paris. La sortie du film Rikyû ni tazuneyo (Demande à Rikyu) au Japon est prévue pour décembre 2013.