Derrière le scandale des cellules STAP
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La soudaine popularité d’une jeune chercheuse
C’est le 29 janvier 2014 qu’on a appris que le centre de recherche sur la biologie du développement de l’institut de recherche Riken avait réussi à produire des cellules STAP (stimulus-triggered acquistion of plupirotency, acquisition de pluripotence déclenchée par un stimulus). L’information annonçait la publication d’ un article à ce sujet dans la revue scientifique de référence Nature qui paraîtrait le lendemain, et présentait son auteure, Obokata Haruko, la jeune chercheuse à la tête de l’équipe responsable de cette avancée, ainsi que les grandes lignes de son travail.
Alors que les cellules souches pluripotentes induites, pour lesquelles Yamanaka Shinya, professeur à l’Université de Kyoto a obtenu le prix Nobel de médecine, sont reprogrammées génétiquement pour leur permettre de devenir pluripotentes (c'est à dire ayant la capacité à générer plusieurs types de tissus cellulaires), la simplicité de la méthode décrite dans cette communication – une simple macération dans une solution acide pour donner la pluripotence à ces cellules somatiques – a bouleversé le monde de la recherche médicale et des sciences du vivant. Le grand public, lui, a été bien plus frappé par la personnalité de la jeune chercheuse, Obokata Haruko.
De nombreux reportages nous ont appris que dans son laboratoire aux murs tapissés de jaune et de rose, décoré de peluches et de produits dérivés du dessin animé Moomin, la jeune femme ne mettait pas de blouse blanche mais un tablier de cuisine qui lui venait de sa grand-mère, qu’elle y élevait une tortue et y travaillait au moins douze heures par jour, sept jours sur sept.
Une mise en scène des médias qui ne date pas d'hier
Nous savons à présent que ces informations offertes aux médias résultaient d’une mise en scène très aboutie de la part du service de relations publiques de l’institut Riken et de l’entourage de Mme Obokata. Cette méthode de communication est peut-être exceptionnelle dans le monde de la recherche, mais elle est solidement établie dans les relations publiques.
Afin d'illustrer mon propos, laissez-moi vous parler de la méthode Deaver. Le 17 janvier 1991, le gouvernement américain annonça le début de la Guerre du Golfe en Irak par un bombardement aérien. La méthodologie utilisée à cette occasion avait été élaborée par Michael Deaver, le porte-parole du président Reagan. Conscient que la diffusion par les médias de photos de cadavres de soldats américains pendant la Guerre du Vietnam avait suscité un élan pacifiste et compliqué la poursuite des opérations, le gouvernement américain et son armée s’étaient donné du mal pour développer un contrôle efficace des médias. Deaver, qui avait fait carrière dans les relations publiques, avait conçu sur la base de son expérience dans le domaine de la publicité télévisée une approche capable de contrôler les images grâce à deux techniques.
La première était de présenter des images capables d’intéresser le public, sélectionnées dans le but de garantir un fort taux d’audience. Les autorités américaines fournissaient des « sujets » tout prêts, semblables à des publicités télévisées, et cela en quantité si importante qu’ils ne pouvaient pas tous être diffusés. Deaver réalisait pleinement que les chaînes américaines de télévision qui luttaient pour conquérir des parts d’audience ne pourraient refuser des segments capables d’attirer fortement des spectateurs. Par ailleurs, en mettant à leur disposition une quantité de loin supérieure au temps qu’elles consacraient aux informations, il devinait que les chaînes de télévision ne diffuseraient rien d’autre, sans qu’il ne soit nécessaire d’exercer sur elles de quelconques contraintes.
Ce « Deaver System » fut expérimenté pour la première fois en 1983 au moment de l’invasion américaine de l’île de la Grenade, et appliqué plus largement encore en 1989 pour celle de Panama, puis en 1991 dans la Guerre du Golfe. Les premières images diffusées avaient été envoyées par les caméras des premiers missiles sol-air à guidage de précision tirés sur Bagdad. Les téléspectateurs furent fascinés par ces images entièrement nouvelles à leurs yeux, prises par des missiles qui volent comme de leur propre initiative vers les cibles qu’ils détruisent immanquablement. Le Deaver System fonctionna parfaitement : il fit naître l’image d’une guerre propre dans laquelle seules les installations militaires étaient détruites, donnant l’impression aux téléspectateurs qu’il s’agissait d’une nouvelle guerre « juste ».
Les sciences, un monde où l'on joue gros
La méthodologie choisie par Riken pour communiquer sur les cellules STAP relevait de ce Deaver System. Outre le physique de cette jeune femme, elle comportait des éléments visuels (son tablier de cuisine, son laboratoire rose) destinés à attirer le regard des téléspectateurs pendant les reportages télévisés. La télévision a longuement diffusé ces images, comme prévu, en mettant l’accent sur la personnalité de Mme Obokata, et la presse écrite a publié des articles relatant des anecdotes liées à ces éléments visuels.
Si l’institut Riken a choisi de communiquer de cette manière, c’est parce qu’aujourd’hui, « gagner » est devenu un objectif majeur également dans le monde des sciences. La recherche avancée exige des budgets de recherche considérables et elle ne peut se faire sans lever des fonds sur le marché des subventions publiques et des financements de recherche. Des résultats excellents sont nécessaires pour obtenir du Parlement le rang d’institut de recherche prioritaire et bénéficier des fonds de recherches alloués selon l’importance des thèmes, ainsi que pour nouer des partenariats avec des entreprises privées. Mais le soutien du grand public est aussi indispensable. En effet, les politiciens en charge de la politique de recherche, tout comme les dirigeants d’entreprise ne sont pas nécessairement au fait de la recherche avancée, et ils se préoccupent avant tout des tendances du grand public.
La situation dans la recherche de pointe en sciences du vivant n’est pas sans ressembler aujourd’hui à celle dans laquelle se trouvait le gouvernement américain au moment de la Guerre du Golfe, quand il leur fallait souligner la justesse de cette guerre pour que le grand public n’accorde pas son soutien à l’ennemi. Dans les deux cas, l’objectif primordial était de s’assurer le soutien du grand public, d’où l’utilisation d’une méthodologie de contrôle de l’information similaire. De plus, le rival de Riken était l’institut de recherche de l’Université de Kyoto sur les cellules souches pluripotentes du professeur Yamanaka, lauréat du Prix Nobel, qui est très populaire au sein du public... Derrière l'image de cette jeune scientifique, l'institut Riken cherchait-il à créer un personnage encore plus séduisant que celui du professeur Yamanaka ?
La vérité sur les cellules STAP passe à la trappe
Mais peut-être faudrait-il utiliser une autre image à propos de Riken, celle de l'arroseur arrosé. Mme Obokata s’est avérée trop séduisante pour les médias et pour le grand public. Après la conférence de presse du 28 janvier, elle est devenue incapable de faire le moindre geste sans être poursuivie par les médias. Des hebdomadaires ont commencé à publier des articles sur sa vie privée, réelle ou supposée, sans avoir accès à elle.
Les utilisateurs d’Internet se sont aussi intéressés à la jeune chercheuse. Mais d'une autre façon : ils ont commencé à vérifier sa thèse de doctorat, qui était visible en ligne. Ils ont découvert que certaines des photos de l’article publié par Nature avaient aussi servi pour sa thèse qui portait pourtant sur un tout autre thème, et aussi qu’elle comportait des passages qu’elle avait copiés-collés sans citer les références des documents utilisés.
Relativement à l’article publié par Nature, il est apparu que certaines parties étaient douteuses parce que les images utilisées avaient été en partie manipulées, et Riken a dû se résoudre à lancer une commission d’enquête à ce sujet. Le 1er avril, l’institut a reconnu qu’il y avait eu fraude, et son directeur Noyori Ryôji s’est vu contraint d’annoncer dans une conférence de presse qu’il recommandait le retrait de cet article, suivant la procédure applicable.
Confrontée à cette réaction de Riken, Mme Obokata a donné une conférence de presse le 9 avril, dans laquelle elle a souligné que l’emploi de photos identiques à celles figurant dans sa thèse n’était qu’une simple erreur, que les photos n’avaient été manipulées que dans le but de les rendre plus lisibles, et qu’en aucun cas elle n’avait eu l’intention de tromper. Mais elle a aussi révélé qu’elle avait déposé une plainte en réparation vis-à-vis des résultats de l’enquête, car elle ne pouvait accepter que les résultats de ses recherches aient été jugés le produit de « manipulations et de falsifications ».
Sa posture de résistante solitaire face à Riken qui avait jusqu’alors contrôlé toute l’information n’était pas sans rappeler, pour continuer le parallèle avec la Guerre du Golfe, celle de Peter Arnett, le correspondant de CNN qui était le seul reporter présent à Bagdad à pouvoir continuer à transmettre des images de ce que s’y passait. Mais les informations qu’il avait transmises depuis Bagdad avaient de fait subi la censure du gouvernement de Saddam Hussein. En conséquence, si les informations fournies par la plupart des médias étaient contrôlées par le Deaver System, celles d’Arnett étaient aussi tendancieuses, et la vérité sur la guerre était passée à la trappe.
Le public veut des récits faciles à comprendre
Mme Obokata a affirmé en pleurant pendant sa conférence de presse que les cellules STAP existaient, mais elle n’en a quasiment pas apporté de preuves. La vérité à leur sujet n’est pas encore connue. Mais après le 9 avril, des voix se sont fait entendre pour exprimer de la compassion à son égard, en réaction à l’attitude de Riken qui semblait vouloir se débarrasser d’elle comme d’une malpropre, et à celle des médias qui l’avaient d’abord glorifiée pour la rejeter sitôt que Riken avait reconnu qu’il y avait eu falsification.
Cette compassion ne serait-elle pas due au fait que notre société se passionne pour cette affaire, non pas en raison de son amour pour la vérité scientifique, mais parce qu’elle la voit comme le récit d’un conflit entre Riken et Mme Obokata ? La plupart des Japonais d’aujourd’hui ne s’intéressent aux récits que dans la mesure où leurs structures sont centrées sur des personnalités. Le contenu lui-même leur est indifférent. Ils sont contents, en d’autres termes, si un récit est bien conçu.
Quelques mois plus tôt, une autre controverse a agité le Japon. Elle concernait le compositeur Samuragôchi Mamoru, salué comme l’auteur d’œuvres remarquables composées malgré sa surdité totale. Le véritable compositeur a révélé que Samuragôchi n’était pas sourd et n’avait rien composé. La vérité avait disparu dans le contexte de ce beau conte d’un Beethoven d’aujourd’hui centré sur un personnage mystérieux. La controverse actuelle autour des cellules STAP relève du même contexte, la soif du grand public pour des récits faciles à comprendre et l’enthousiasme que ces récits suscitent chez les médias.
(D’après un article original en japonais du 18 avril 2014. Photo de titre : Obokata Haruko présente à la confèrence de presse à Osaka, le 9 avril 2014. Jiji Press)